Looking for Antigone

Antigone tragédie musicale ?

Looking for Antigone

La tragédie antique peut-elle encore intéresser aujourd’hui les jeunes des réseaux sociaux influenceurs, des films pornos discount, des étalages intimes sur instagram ? À cette question, la Cie des Mutants répond oui si on passe par une forme de théâtre proche du divertissement.

D’où ce pari un peu dingue de passer par la comédie musicale. Mais pas seulement. Aussi d’emprunter les sentiers bien connus de la distanciation brechtienne pour y glisser une bonne dose de pédagogie sans nuire à ce qui reste l’essence même de cet art vivant : raconter une histoire en l’incarnant par des êtres de chair et de sentiments.

Outils de mise en scène

Quelques exemples qui sont des évidences. Le décor n’est pas réaliste mais allusif et intégré à l’action. En l’occurrence, des caisses d’emballage de grande surface susceptibles de devenir muraille, habitation, palais, ruines, monument, sièges, socles… Mobiles au point de pouvoir être assemblés de multiples façons pour modifier l’espace scénique et le métamorphoser en cité, champ de bataille, lieu de réunion intimiste…

Côté comédien(e)s, n’importe qui a la possibilité d’endosser n’importe quel rôle sans importance de sexe ni d’âge, ni de couleur de peau voire de corpulence. D’ailleurs, lorsqu’une identité risque d’être incertaine (notamment, fait fréquent dans la tragédie classique, lorsqu’un patronyme est inconnu ou bizarre), pourquoi pas lui adjoindre une pancarte portant son nom (ici par exemple ‘Etéocle’ ou ‘Polynice’), sa fonction (‘coryphée’), un lieu (‘agora’). De même, la métonymie d’un accessoire suffit à identifier un protagoniste (une couronne et c’est devenu un roi).

Il arrive parfois que les didascalies explicatives de l’auteur normalement absentes durant le spectacle soient données comme une information complémentaire par un comédien soudain commentateur ou metteur en scène, quelquefois même accessoiriste. L’anachronisme est aussi moyen de théâtraliser tout en dédramatisant. Voir : l’arrivée sur les chapeaux de roues de la garde royale réduite à un unique soldat en trottinette électrique. Toutes ces interventions scéniques étant évidemment intégrées au rythme général de la représentation pour éviter d’avoir l’air artificielles. Ce sont des éléments dramatiques au même titre que les répliques des dialogues. Voilà pour la tragédie.

Théâtre nourrissant sous emballage musical

Côté comédie musicale, chants et danses se marient. Les chorégraphies abondent. À commencer par un sirtaki, musique populaire grecque par excellence. Mais elle donne le ton qui tient à la fois du pastiche et de la variation sur un thème. C’est drôle, entraînant, sans cesse égayé de gestes et de mouvements panachés, d’allusions culturelles comme celle qui se réfère à des fresques antiques archiconnues. D’autres se succéderont avec le même bonheur, à ceci près que certaines s’éternisent parfois un peu trop. Elles seront caricaturées y compris lorsqu’un duel fratricide prend des allures de combat de catch.

Sacrilège, sans doute diront les puristes. N’empêche, ce spectacle touche à beaucoup de thèmes vitaux comme la tragédie originelle : la légitimité des lois et des pouvoirs, le poids des valeurs morales, les convictions humanistes, la liberté de penser, le droit de défendre une croyance religieuse ou philosophique, la peine de mort, la raison d’état, le libre choix d’être soi. Et le mécanisme structurel du genre tragique ayant été démonté et analysé, il sera loisible au professeur qui aura entraîné ses classes au théâtre de revenir sur Sophocle, Eschyle, Euripide et les modernes qui leur ont emboité le pas : Cocteau, Anouilh, Brecht, Bauchau…

La troupe est cohérente, impeccable corporellement et vocalement. Elle se donne avec un entrain qui embarque le public aussi bien dans les affres du tragique que dans la détente de la comédie. D’où un spectacle généreux, intelligent qui mène à une réflexion sur notre monde actuel tout en nous donnant une leçon de théâtre.

Durée : 50’
À partir de 12 ans

Rencontres du Théâtre jeune Public 2025
16-17.08.2025 Centre culturel Huy

30.09>02.10.2025 Varia Bruxelles

Mise en scène : Alessandro Bernardeschi, Mauro Paccagnella ; création, interprétation : Carlo Benedetti, Melissa Calandro, Jérôme Février, Miguel Halin, Joyce Mukangoga, Younes Namrouchi, Chloé Périlleux, Lisa Talmat, Laurence Warin ; avec la participation de Didier de Neck et Martine Godart ; création lumière : Simon Stenmans ; création sonore Eric Ronsse Création vidéo Stéphane Broc Création costumes Dolça Mayol Assistanat Fanny Hanciaux Collaboration à la dramaturgie Noemi Tiberghien Régie Thomas Giacometti, Samuel Vlodaver Direction technique Alain Collet, Simon Stenmans ; producyion ; Compagnie des Mutants, en coproduction avec Wooshing Machine et La Coop asbl . <Photo © Stéphane Broc

Comparer : www.webtheatre.fr/Antigone-vs-Creon-de-Benoit-Verhaert-et-Sophoclle

Compléter :
Version de Betty Pelissou https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Sophocle-8061
Version de Milo Rau https://www.webtheatre.fr/Antigone-en-Amazonie-de-Milo-Rau-7722
Version d’Anne Monfort et Loïc Guenin https://www.webtheatre.fr/Le-Cri-d-Antigone-de-Loic-Guenin
Version de Satoshi Miyagi https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Sophocle-5789
Version d’Adel Hakim https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Sophocle-3238
Version de Ivo Van Hove https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Sophocle
Version de Marc Paquien https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Jean-Anouilh-4023 et https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Jean-Anouilh-3436
version d’Olivier Broda https://www.webtheatre.fr/Antigone-de-Sophocle-3252
Version d’Henry Bauchau https://www.webtheatre.fr/Antigone-selon-Henry-Bauchau-1600

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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