Une Butterfly pleine de grâce

A l’Opéra de Rennes, « Madame Butterfly », de Puccini, distille l’émotion sans verser dans la facilité.

Une Butterfly pleine de grâce

« À quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. Les nombreux reports dus au Covid qui ont affecté cette production de Madame Butterfly, initialement créée pour le Mai musical florentin et le Teatro Petruzelli de Bari, ont sans doute contribué à affiner la présentation de cette « tragédie japonaise en trois actes », de Puccini. C’est un spectacle très abouti, tant scéniquement que musicalement, qui termine aujourd’hui sa course sur la scène de l’Opéra de Rennes après être passé par ceux d’Angers et de Nantes. Avec un finale en apothéose le 16 juin retransmis en direct sur écrans géants dans les régions Bretagne et Pays de Loire, et sur les ondes locales et nationales.

Curieux mélange de mélo populaire et de musique savante, cet opéra de Puccini ! Accueilli fraîchement lors de sa création à la Scala de Milan en 1904, quoique très ancré dans la sensibilité italienne, il ne ménage pas ses effets mais reste toujours sur une crête où le sentimentalisme n’exclut pas la pudeur. C’est, en tout cas, ce qui ressort de la mise en scène de l’Italien Fabio Ceresa qui fait de la jeune geisha nommée Butterfly par son conquérant américain Pinkerton, une victime pitoyable mais toujours dans la retenue. Avec, pour elle comme pour les autres protagonistes, une gestuelle précise mais pas artificielle, toujours en phase avec la musique. Un art de vivre d’un extrême raffinement apparaît à travers elle, notamment dans l’art de la calligraphie dispensé par la servante Suzuki.

Pitoyable est le sort de la très jeune Cio-Cio-San (qui signifie en japonais « Madame Papillon »), combattant la misère due à une série de malheurs familiaux par la pratique du chant traditionnel. Ce qui fait d’elle une Geisha, très prisée par les Occidentaux de passage dans le port de Nagasaki. L’officier de marine américain Pinkerton a jeté son dévolu sur ce qu’il voit comme un jouet, sans égard pour sa fragilité ni prendre avec le même sérieux le mariage à quoi il l’engage.

Une si longue attente...

Elle, au contraire, se donne corps et bien à son mari et à sa culture au point d’épouser aussi sa religion, et donc de renier famille et traditions. Ce que lui reproche son oncle, le bonze qui surgit sur scène et jette sur elle un terrible anathème. Les noces à peine conclues, l’Américain disparaît et voilà Butterfly plongée dans une longue attente, isolée et privée de ressources, avec l’enfant qu’elle a eu de lui. Sans pourtant jamais désespérer de son retour. Il reviendra en effet, au bout de trois ans, mais pas pour exaucer ses vœux, bien au contraire....

Ce choc des civilisations est présenté de manière épurée, sans céder à un exotisme de pacotille souvent de mise pour cet opéra, dans la scénographie comme dans les costumes. De simples panneaux coulissants à la manière japonaise, savamment éclairés, permettent d’ouvrir ou de clore le théâtre de la tragédie au gré de son évolution. Et un plan de bois nu figure la jetée sur laquelle se situe l’interminable attente de Butterfly, plongeant dans le vide de la mer invisible et silencieuse. Au fil des actes, la progression dramatique va crescendo, rendant de plus en plus palpable la souffrance de la délaissée, victime d’une cruauté qui ne dit pas son nom.

La direction du chef allemand Rudolf Piehlmayer à la tête de l’Orchestre national des Pays de la Loire et du Chœur d’Angers Nantes Opéra est pour beaucoup dans l’empathie qui s’empare du public. Non seulement le chef déchaîne les vagues de lyrisme qui submergent par endroits la partition mais il fait aussi entendre les subtilités et la richesse de la musique du compositeur italien qui intègre des sonorités orientales, notamment à travers les percussions. L’exécution du long prologue orchestral du troisième acte est à cet égard exemplaire.

Revers de la médaille, dans la bonbonnière de l’Opéra de Rennes à l’acoustique très avantageuse, et malgré une formation orchestrale légèrement réduite, les chanteurs sont contraints à forcer un peu leur voix pour passer l’orchestre. Du moins les deux rôles principaux que nous avons entendus le soir de la première rennaise, appelés ensuite à changer (voir ci-dessous). La soprano Anne-Sophie Duprels s’investit à fond dans son personnage et fait compatir au sort de la malheureuse Butterfly avec beaucoup de grâce. Un cran en dessous, le ténor Sébastien Guèze joue un Pinkerton dont le timbre manque un peu de chaleur et de charme. Tous les autres rôles, qui eux ne changent pas, sont à la hauteur d’une production exigeante, notamment le baryton Marc Scoffoni qui campe un très élégant consul Sharpless et la mezzo Manuela Custer une servante Suzuki au grand cœur.

Opéra de Rennes jusqu’au 16 juin à 20h (dimanche 12 à 16 h.), www.opera-rennes.fr. Direction musicale : Rudolf Piehlmayer. Chœur d’Angers Nantes Opéra, Orchestre National des Pays de la Loire. Mise en scène : Fabio Ceresa. Décors : Tiziano Santi. Costumes : Tommaso Lagattolla. Lumières : Fiammetta Baldiserri.
Cio-Cio-San : Anne-Sophie Duprels (8, 10/06), Karah Son (12, 14 et 16/06), Benjamin F. Pinkerton : Sébastien Guèze (8, 10/06), Angelo Villari (12, 14 et 16/06), Suzuki : Manuela Custer, Le consul : Sharpless Marc Scoffoni, Goro Gregory Bonfatti. Le prince Yamadori : Jiwon Song. Le Bonze : Ugo Rabec. Kate Pinkerton : Sophie Belloir.

Retransmission en direct et en plein air, le jeudi 16 juin à 20h sur écrans géants à Angers, Nantes et Rennes et dans plus de 45 villes et communes en Bretagne et Pays de la Loire. Spectacle gratuit, informations sur www.culture.paysdelaloire.fr
Diffusion en direct sur sept télévisions locales, et en différé sur les chaînes de télévision et radio nationales : France 3 Pays de la Loire et Bretagne, Culturebox, et sur France Musique dans « Samedi à l’Opéra », le samedi 2 juillet à 20h.
Photo D. Perrin

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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