The Dante Project de Wayne McGregor
Trois créateurs de premier plan sont associés pour ce ballet très ambitieux inspiré de "La Divine comédie" de Dante
Thomas Adès pour la musique originale. Wayne McGregor pour la chorégraphie. Tacita Dean pour les décors et les costumes. Ce sont trois grands noms de la scène artistique contemporaine qui se sont alliés pour The Dante project, ambitieuse coproduction internationale, créée à Londres en octobre 2021, qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Comme l’indique son titre, le spectacle n’est pas qu’un simple ballet narratif en trois actes qui reprennent le cheminement de La Divine comédie, l’ouvrage fondateur de la langue italienne, écrit par Dante au début du XIVème siècle. C’est une œuvre d’art contemporain totale qui élargit l’univers de la danse et résonne avec les préoccupations de notre temps.
A mi-chemin entre le narratif et l’abstraction, le spectacle retrace le périple du poète à travers les mondes de l’au-delà en quête de régénérescence et de salut. A la luxuriante partition de Thomas Adès (qui dirige lui-même l’Orchestre de l’Opéra) répondent les figures du chorégraphe et la multiplicité des formes employées par la plasticienne. Utilisant un médium différent pour chaque acte — le dessin, la photographie et le film –, les décors évoluent du négatif au positif, du noir et blanc de l’Enfer aux couleurs éclatante du Paradis.
Le ballet en trois actes séparés par un entracte propose un périple initiatique en trois stances. Soit trois mondes très contrastés avec leur atmosphère propre tant pour la musique que pour le visuel et la danse. Impeccablement reprise par le Ballet de l’Opéra de Paris tel qu’elle fut créée à Londres par le Royal Ballet, la chorégraphie de facture néoclassique, très fluide, déroule un arc narratif sur près de trois heures. On passe de l’univers glaçant de l’Enfer à celui solaire du Paradis, via l’étape énigmatique du Purgatoire. Un véritable trip où les sons, les gestes et les lumières forment une constellation changeante. Avec en point de mire dans l’univers instable où chemine le poète, la figure de Béatrice, l’amour de jeunesse prématurément disparue et finalement retrouvée au terme du voyage.
Anti-monde
La première partie, l’Enfer, est conçue comme un pèlerinage et baigne dans une atmosphère très sombre. L’angoisse sourd de la musique d’ampleur symphonique de Thomas Adès qui ne cache pas ses emprunts à Liszt. Figurant un anti-monde où toutes les valeurs sont inversées, le décor représente une chaîne de montagne à l’envers, sommets tournés vers le bas entre lesquels les interprètes en proie aux tourments de la damnation évoluent dans une succession de gestes saccadés. Au-dessus d’eux un miroir incliné rétablit le monde à l’endroit, hors de portée des damnés. Guidé par le poète latin Virgile, Dante est le témoin, parfois l’acteur d’un monde où les tenants du pouvoir, laïques comme religieux, sont mûs par la violence, la corruption, l’appât du gain, la lubricité.
Avec le second acte, le Purgatoire, on pénètre dans un espace autrement plus serein, un environnement monastique où la musique intègre des chants liturgiques d’une synagogue de Jérusalem. Une grande photo d’un arbre où négatif et positif ont été inversés souligne le caractère transitoire du lieu. Dans une atmosphère orientalisante, le temps semble suspendu et les personnages reviennent sur leur vie, Dante enfant revit sa fascination pour Béatrice, promesse d’amour et d’espoir.
Changement radical pour le final en apothéose du Paradis : un film en 35 mn projeté au-dessus des danseurs déroule ses spirales colorées tandis que la musique intersidérale
dispense ses volutes ensorcelantes. Un nouvel état d’harmonie s’instaure et les danseurs parfaitement à l’unisson tracent un chemin de renouveau et de rédemption.
Manifestement en phase avec le chorégraphe londonien, le Ballet de l’Opéra de Paris qui travaille pour la cinquième fois avec lui ne se ménage dans cette pièce très pointilliste qui multiplie les formes exigeantes. Germain Louvet endosse avec classe mais un peu de raideur le personnage de Dante tandis qu’Hannah O’Neill incarne une Béatrice pleine de grâce. Pour sa part, Irek Mukhamedov (qui est aussi maître de ballet du spectacle) campe un Virgile nimbé d’autorité bienveillante. Hormis quelques ratés, les étoiles (dont le dernier venu, l’ondoyant Guillaume Diop) et tout le Corps de ballet ne déméritent pas.
Jusqu’au 31 mai, www.operadeparis.fr Musique originale : Thomas Adès. Chorégraphie : Wayne McGregor. Décors et costumes : Tacita Dean. Lumières : Lucy Carter, Simon Bennison
Dramaturgie : Uzma Hameed. Direction musicale : Thomas Adès ou Courtney Lewis. Cheffe des Choeurs : Ching-Lien Wu.
Avec les étoiles et le corps de ballet de l’Opéra de Paris. Partie chœur enregistrée. Orchestre de l’Opéra national de Paris.
Photo : Ann Ray