A La Villette, jusqu’au 6 juin 2024
REQUIEM(S) D’ANGELIN PRELJOCAJ
Une pièce somptueuse et tonique sur le thème du deuil
Quoiqu’entre parenthèses, le S ajouté au titre Requiem de la dernière pièce d’Angelin Preljocaj marque bien la spécificité de cette création plurielle, protéiforme tant dans son inspiration que dans son expression. A 67 ans, le chorégraphe, qui se dit affecté par la disparition récente de proches, dont ses deux parents morts dans la même année 2023, a conçu pour sa tribu d’une vingtaine de très jeunes interprètes une composition à partir des corps affrontés à la mort, à la perte d’un ou plusieurs êtres.
Partant de la liturgie chrétienne et de la messe des morts censée apporter aux défunts le repos éternel, le spectacle met en jeu différents types de rituels, religieux ou profanes, mythiques ou prosaïques, qui accompagnent la mort, suscitant une multiplicité d’émotions allant de la déploration et de l’abattement à la joie ressentie à l’évocation des disparus.
La scène tient dans une immense boîte toute tendue de noir avec les éclairages très soignés d’Eric Soyer modelant de savants clairs-obscurs (on pense beaucoup aux tableaux du Caravage) et les sobres vidéos diffusées par intermittences sur le fond de scène, telles des vanités rappelant la précarité de la vie. Très léché, chaque tableau animé, procède d’un mouvement propre et correspond à une atmosphère spécifique, portée par une séquence musicale choisie. Éclectique, la B.O. puise aussi bien dans le registre religieux que profane allant du répertoire classique (Requiem de Mozart et de Fauré, chants polyphoniques médiévaux) à la musique moderne et contemporaine (Messiaen, Ligeti) en passant par le hard rock (le groupe System of a down) et des créations sonores réalisées pour l’occasion.
Le ballet s’ouvre sur ce qui peut être perçu comme une naissance à l’envers : trois danseurs suspendus dans les airs, chacun lové dans une sorte d’œuf en résille, s’extirpent de leur cocon, aidés en cela par trois groupes au sol qui les accueillent. Bienvenue dans le monde des morts ! A partir de quoi s’enchaînent les tableaux formant une mosaïque de séquences qui se relaient sans temps morts. Il y a bien sûr quelques figures obligées comme ces duos de vivants et de morts qui se disputent âprement le corps d’une jeune défunte écartelée. Et ces touchantes maternités formées par des groupes de danseuses berçant à l’unisson d’imaginaires créatures. Ou encore cette descente de croix d’une infinie délicatesse où le corps d’un supplicié est précautionneusement amené au sol.
D’autres tableaux sont plus énigmatiques comme celui sous-tendu par la voix de Gilles Deleuze qui évoque « la honte d’être un homme », d’après le témoignage de Primo Levi, rescapé d’Auschwitz.
Les costumes, signés Eleonora Peronetti, ont leur part dans l’impact de certains tableaux saisissants. Telles ces silhouettes toutes drapées de blanc surmontées de coiffes impressionnantes qui viennent arracher leur butin de mourants. Ou ces pleureuses à la tête serties de longues lanières telles des chevelures frénétiquement agitées. Ou encore cette scène de Jugement dernier où trois divinités juchées sur un piédestal désignent les défunts rampant à leur pieds.
Certes, le déroulement de certaines séquences est parfois prévisible et la chorégraphie épouse strictement, sans surprise, le rythme de la musique. Mais la pièce d’une heure trente n’en donne pas moins lieu à une explosion d’énergie qui ne faiblit pas. Si bien que, parti de l’idée de la mort, le spectacle finit par prendre la forme d’une ode à la vie, d’un hymne à la joie de la création.
Requiem(s) d’Angelin Preljocaj, à la Grande Halle de La Villette, jusqu’au 6 juin, https://www.lavillette.com/grande-halle
Chorégraphie : AngelinPreljocaj, Musiques : G.Ligeti, W.A.Mozart, System of a Down, J-S.Bach, H.Guðnadóttir, G.Deleuze, Chants médiévaux (anonymes), O.Messiaen, G.F Haas, J.Jóhannsson, 79D. Lumières : Éric Soyer. Costumes : Eleonora Peronetti. Vidéo : Nicolas Clauss. Scénographie : Adrien Chalgard.
Tournée :
05 et 06 juillet 2024, Le Corum, Festival Montpellier danse
12 juillet 2024, Opéra de Vichy
04 et 05 octobre 2024, L’Archipel, Perpignan
12 octobre 2024, Le Carré, Ste Maxime
Du 16 au 19 octobre 2024, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
20 et 21 novembre 2024, La Coursive, La Rochelle
30 novembre 2024, Cannes, Palais des Festivals
04 décembre 2024, Teatro Comunale PavaroŒi-Freni, Modena, Italie
Du 18 au 22 décembre 2024, Théâtre de Caen
Du 06 au 09 février 2025, Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
Du 12 au 19 mars 2025, Opéra Royal du Château de Versailles
Du 03 au 05 avril 2025, Opéra de Rouen, France
13 et 14 avril 2025, Megaron Athènes Concert Hall, Athènes, Grèce
09 et 10 mai 2025, Teatros del Canal, Madrid, Espagne
13 mai 2025, Auditorium, Dijon
16 et 17 mai 2025, Équilibre, Fribourg, Suisse
Juillet 2025, Vaison Danses
Photo Didier Philispart