Les vivants et les morts de Gérard Mordillat
Une comédie musicale sur une tragédie sociale
D’abord Les Vivants et les morts a été un roman publié par Gérard Mordillat en 2005. Une fiction ancrée dans le réel de « ce qui ne va pas » : l’histoire fictive mais emblématique de la fermeture d’une usine, la Kos, dans l’Est de la France, et des ondes de choc propagées dans la vie d’une collectivité qui en dépendait. De ce roman, Mordillat a tiré une série télévisée, réalisée en 2010 pour Arte et France2. La pièce créée aujourd’hui au Rond-Point est donc le troisième avatar de ce récit. Plutôt que de comédie musicale, c’est de tragédie en musique qu’il faudrait parler, avec le fléau du chômage qui s’abat sur les individus, les ouvriers, les cadres et leurs familles et même les collectivités (syndicats, municipalité, département…), qui se donnent pour mission non seulement de sauver leur emploi mais aussi leur dignité et leur vie.
L’adaptation musicale a été proposée par Hugues Tabar-Nouval, musicien aux multiples talents : compositeur, saxophoniste et chef d’orchestre, sur des textes (des lyrics) écrits par François Morel. Sans aucun décor, ni accessoires, ni vidéo, le spectacle, très épuré, ne garde que les acteurs/chanteurs dans une alternance de dialogues parlés et chantés en duos ou collectivement. Au fond de la scène, tapi dans l’ombre, un chœur intervient par intermittence. Côté jardin, sont disposés divers instruments à vent dont joue Hugues Tabar-Nouval qui incarne aussi le (petit) rôle de Serge dans la pièce, et un piano à queue où joue Camille Demoures, sa partenaire Varda.
Resserrée sur quelques personnages, la pièce se limite à huit comédiens/chanteurs, certains jouant plusieurs rôles, pour incarner les différentes phases de la révolte dans ce drame social et musical, jazzy et pop. La tension va crescendo jusqu’à l’affrontement qui suit la décision du patron de fermer l’usine et le suicide du contremaître Lorquin qui s’ensuit. Jusqu’au combat final avec les forces de l’ordre.
Caisses de résonance
Au fur et à mesure, l’intrigue se focalise sur le jeune couple formé par Dallas et Rudi qui entretiennent des relations tumultueuses, alternant les phases sentimentales et les crises intimes, caisses de résonance de ce qui se passe autour d’eux. Rudi est un incorruptible qui refuse la promotion proposée par la direction, contrairement à Dallas qui est prête à quelques concessions pour pourvoir à l’entretien du ménage et de leur fils. Autour d’eux, il y a les vivants qui résistent et les morts, ceux qui, par découragement ou par désespoir, ont rendu les armes devant le pouvoir jugé inéluctable des actionnaires.
Qui dit théâtre social et musical pense évidemment aux pièces de Brecht/Weill. Mais on est loin ici de la distanciation prônée par le dramaturge et le compositeur allemands. Tout y est traité au premier degré de la colère sociale engendrée par la phase du capitalisme nommée « néo-libéralisme », et la posture militante monolithique y est privilégiée. L’humour se limite à quelques traits caricaturaux comme le petit groupe des béni-oui-oui de la direction qui, tels des automates, suivent tête baissée, à petit pas serrés, le directeur.
La partie musicale fait figure de parent pauvre du spectacle, les dialogues parlés l’emportant largement sur ceux chantés. Le chœur KB Harmony, pourtant fourni avec une douzaine de chanteurs sur scène, est manifestement sous-employé. Malgré quelques élans de vitalité de la part des interprètes, le spectacle s’étire un peu. Mention toutefois à l’acteur/chanteur Günther Vanseveren qui, dans le rôle Rudi, allie un beau brin de voix à une indéniable présence scénique.
Photo : François Catonné
Les Vivants et les morts , jusqu’au 26 février, www.Theatredurondpoint.Fr.
Texte et mise en Scène : Gérard Mordillat. Adaptation et musiques : Hugues Tabar-Nouval et Gérard Mordillat. Paroles : François Morel
Avec Esther Bastendorff, Odile Conseil, Camille Demoures, Lucile Mennelet, Hugues Tabar-Nouval, Patrice Valota, Günther Vanseveren, Benjamin Wangermée. Choeurs Kb Harmony.