La Vie est une fête par les Chiens de Navarre
La troupe déjantée se déchaîne dans un asile psychiatrique
Violences physiques et verbales, frustrations, pulsions incontrôlables, décalage entre vécu et discours politique, narcissisme des élites hors-sol, misère des services sociaux ... rien n’échappe à la moulinette trash des Chiens de Navarre. Tout prête à rire dans leurs spectacles, rire de plus en plus jaune à mesure que la troupe fondée en 2005 par Jean-Christophe Meurisse, leur metteur en scène, aiguise ses flèches empoisonnées. Après s’en être pris au nationalisme (Jusque dans vos bras, en 2017) puis à la famille (Tout le Monde ne peut pas être orphelin, 2019), voici leur nouveau champ de bataille : l’hôpital psychiatrique.
L’institution est vue dans sa pire forme : les urgences psychiatriques, plaque tournante où échouent à toute heure les cabossés de la terre, sans exception d’âge, de sexe, d’origine. Un lieu de réparation pour toute sortie de route. Sans aucun souci du politiquement correct, encore moins du woke, la troupe, qui compte pour l’occasion sept auteurs-interprètes, égrène les sketches tous plus foutraques les uns que les autres. Chacun.e a sa petite spécialité dans ces rôles d’improvisation où il s’engage complétement. Et l’on s’étonne qu’ils sortent (presque) indemnes d’un spectacle où sur près de deux heures, les coups et les dérapages en tous genres pleuvent.
Tous méritent un coup de chapeau dans le (ou les) rôle(s) où ils excellent. Gaëtan Peau, ouvre le bal, parfait beauf, député d’un mouvement d’extrême droite (suivez mon regard !) lors d’un débat à l’Assemblée nationale sur les retraites à 72 ans (on dit bien 72 !) pète un câble et se retrouve aux urgences psychiatriques dont il ne sortira plus et où il prendra divers avatars. Un sort que partage son adversaire politique, Fred Tousch, baratineur intarissable, qui se réincarne aussi bien dans la peau d’un directeur commercial sur le retour, victime des jeunes loups de la « start up nation », qu’en ministre de la santé en tournée qui encaisse tous les coups et les déjections pourvu qu’on vote pour lui.
Hémoglobine à flots
Tordant mais très incorrect, Ivandros Serodios se coule avec délices manifestes dans le rôle du débile profond, exhibo-scato obsédé par son sexe. Il peut se faire gilet jaune à ses heures et taper sur le CRS de service joué par Anthony Paliotti, séducteur invétéré, dans un corps-à -corps où l’hémoglobine coule à flots avant de virer à l’étreinte amoureuse.
Moins violentes mais non moins hilarantes, les comédiennes ont des rôles un peu plus sophistiqués. Lula Hugot a l’onctuosité de la chirurgienne esthétique qui taille dans les chairs mais pas dans la note, et de l’assistante sociale qui impose la thérapie des bisous entre les belligérants déchainés. De son côté, Charlotte Laemmel joue à la perfection l’éternelle dépressive qui regrette de ne pas avoir eu à se plaindre d’une quelconque agression sexuelle. Pour sa part, Delphine Baril incarne la petite femme dynamique qui n’est pas à l’abri d’un coup de blues.
Évidemment tout ça ne mène pas bien loin. Et surtout pas à des propositions de sortie de crise, sinon pour s’en gausser comme de tout le reste. Et certains sketches s’étirent un peu trop. Mais, c’est bien connu, le rire est une forme de thérapie. Et, malgré les risques divers qu’il encourt (aspersions, interpellations, projections....), le public en redemande.
La Vie est une fête , aux Bouffes du Nord jusqu’au 3 juin, www.bouffesdunord.com
Avec Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch.
Régie générale, décors et construction : François Gauthier-Lafaye. Création : lumière Stéphane Lebaleur. Création son Pierre Routin. Régie plateau Nicolas Guellier. Costumes et régie plateau Sophie Rossignol
Photo : Ph Lebruman