Paris – Théâtre de l’Athénée – jusqu’au 5 janvier 2014

LA GRANDE DUCHESSE d’après La Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach

Au rendez-vous du rire en musique avec les Brigands

LA GRANDE DUCHESSE d'après La Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach

Ils sont de retour, fidèles au rendez-vous fixé depuis douze ans au Théâtre de l’Athénée pour y fêter en rires et en musiques les sacro saintes fêtes de fin d’année : Les Brigands, compagnie ès opérettes et opéras bouffe, ont réinvesti les lieux avec l’un des chefs d’œuvre de leur compositeur fétiche, Jacques Offenbach.

Petite variante dans le menu 2013-2014 : alors que d’habitude ils sortent des placards et dépoussièrent des œuvres peu jouées, voire oubliées – le docteur Ox, Barbe Bleue, Croquefer et l’Ile de Tulipatan – c’est un quasi monument qu’ils posent cette fois sur scène. Ou plutôt le transposent. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, La Grande Duchesse de Gerolstein, bijou satirique poli par la verve de Meilhac et Halévy, y devient La Grande Duchesse tout court et comme ses manipulateurs sont d’honnêtes clowns, ils précisent « d’après Offenbach ». Car ils taillent la précieuse pierre aux mesures de leurs ambitions et de leurs effectifs. Soit neuf chanteurs et dix musiciens qui réussissent à conserver l’essentiel – son esprit– et à le faire pétiller comme le champagne de saison.

Les pouvoirs, les armées roulés dans la farine

Offenbach et ses acolytes librettistes lâchent du piquant dans ce grand cru où ils roulent dans la farine les pouvoirs et leurs armées, l’Empire et avec lui, toutes les cours, ses intrigues, ses guéguerres et ses guerres. La parodie est acerbe, tout y passe, la soûlerie du pouvoir, l’enivrement des modes. Les allusions à l’actualité sont franches, Meyerbeer et ses Huguenots y sont moqués sans fard et des personnages connus cités à peine déguisés ( Boum était le surnom d’un vrai général de France). A sa création en avril 1867 au Théâtre des Variétés, l’insolence de cette grande Duchesse, créa quelques remous et censures. Elle fut remaniée par doses successives avant un triomphe de longue durée.

A l’Athénée les Brigands ont ramené le poids lourd (plus trois heures de musique et de gags) à un attelage léger. Exit la fosse : les instrumentistes sont sur scène et deviennent des personnages. Exit le chœur : les chanteurs s’y substituent en petits groupes ou en sifflotant… Quelques fantaisies détournent l’original en le pimentant. Ainsi, Wanda, la fiancée de Fritz, le gentil soldat sur lequel la duchesse jette son dévolu, change de sexe et devient Krak, tendre troufion, béatement amoureux du même Fritz qui l’aime de même et ne comprend rien aux avances de la bienfaitrice qui, en trois phrases, l’a propulsé de deuxième classe à général galonné. Ainsi le baron Grog que la duchesse convoite en guise de lot de consolation se révèle être une femme, obligeant l’héroïne à se résigner à prendre le dédaigné prince Paul pour époux. Car, comme le veut la morale « quand on n’a pas ce qu’on aime, il faut aimer ce qu’on a ! ».

Des tatouages en guise de veste militaire

Des caisses de bois blond, des praticables à mi-hauteur, un piano baladeur, un fond de scène nu qui se colore au gré des situations, la scénographie et les lumières de Thibaut Fack se prêtent à toutes les facéties de la mise en scène de Philippe Béziat, cinéaste épris de musique, qui signe, avec humour et harmonie, sa première réalisation lyrique. Les costumes malicieusement délurés d’Elisabeth de Sauverzac, complice des Brigands depuis la première heure, épicent les personnages. Le vert domine bravant les superstitions, uniformes et drapeaux arborent des couleurs de prairie, des tatouages grimpant des poignets jusqu’au ras du cou tiennent lieu de vestes militaires, les robes de la duchesse font un clin d’œil coquin au Christian Dior des années cinquante.

Si l’air des rémouleurs est passé à la trappe, la plupart des grands rengaines retrouvent leur place et leur cadence, pif, pas, pouf, tara, poum poum, on aime toujours les militaires, le sabre de mon père découpe toujours les nostalgies, le carillon de grand-mère résonne encore…. Et, pour entonner la fameuse « ah lettre adorée », le chef Christophe Grapperon lâche sa baguette pour redevenir baryton aux côtés de trois de ses acolytes a capella. Une fois de plus, les réorchestrations de Thibaut Perrine réservent des innovations qui font mouche.

La duchesse n’est pas grande de taille, mais elle est large de voix. La délicieuse mezzo-soprano Isabelle Druet, 2ème prix du concours Reine Elisabeth de Belgique en 2008, révélation lyrique des Victoires de la Musique en 2010, magnifique Carmen à l’Opéra National de Lorraine en 2011 (voir WT 2677) prend visiblement du plaisir à entrer dans le bain cadencé offenbachien et à l’orner de charme et de gouaille. Ténor léger, François Rougier livre un Fritz naïf et bêta à souhait, David Ghilardi lui donne la réplique sentimentale (et vocale) avec la même dose d’ingénuité, Olivier Hernandez en frac blanc et chapeau haut de forme fait du prince Paul un futur cocu de parfaite candeur, le général Boum galope à fond de train dans les longues pattes d’Antoine Philippot, tandis que le baron Puck devient sous les regards en biais de Flannan Obé un deuxième couteau de dessin animé. A défaut d’autre rôle féminin, Emmanuelle Goizé enfile le costume du baron Grog et lui apporte, outre sa voix toujours agile, une petite dose d’ambiguïté farceuse.

Les chorégraphies de Jean-Marc Hoolbecq transforment chanteurs et musiciens en danseurs acrobates, frétillants jusque dans le vide où Fritz/Rougier se trouve suspendu.

La Grande Duchesse d’après La Grande Duchesse de Gerolstein, musique de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Compagnie Les Brigands, direction musicale Christophe Grapperon, orchestration Thibault Perrine, mise en scène Philippe Béziat, décors et lumières Thibaut Fack, costumes Elisabeth de Sauverzac, chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq. Avec Isabelle Druet, François Rougier, Antoine Philippot, David Ghilardi, Flannan Obé, Olivier Hernandez, Emmanuelle Goizé, Olivier Naveau, Guillaume Paire. Et les musiciens Nicolas Ducloux, Samuel Nemtanu (en alternance avec Pablo Schatzman), Laurent Camatte, Annabelle Brey, Benjamin Hébert (en alternance avec Simon Drappier), Boris Grelier, François Miquel, Takénori Némoto (en alternance avec Pierre Rémondière) Eriko Minami (en alternance avec Guillaume Le Picard )

Théâtre de l’Athénée, les 12, 14, 18, 21, 26, 27 décembre 2013, 3 et 4 janvier 2014 à 20h – les 15, 22, 29 décembre et 5 janvier à 16h, les 17 et 31 décembre à 19h

01 53 05 19 19 – www.athenee-theatre.com

photos : Elisabeth de Sauverzac

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • LA GRANDE DUCHESSE d’après La Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach 12 janvier 2015 08:12, par Alain CLAUDIN

    Le 10 janvier 2015, la Grande Duchesse était toujours aussi réussie. Tout ce qui fit son charme lors de la saison précèdente était au rendez-vous à l’exception de l’air du Carillon de ma Grand-Mere.
    Un grand moment de joie !

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