FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE (1)
AIX-EN-PROVENCE 2023 (1)
« L’Opéra de quat’sous », de Bertolt Brecht et Kurt Weill, fait l’ouverture en fanfare du Festival d’Aix.
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- 5 juillet 2023
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- Opéra & Classique
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Double événement au vénérable Festival d’Aix-en-Provence, qui célèbre cet été ses soixante-quinze ans. À la conquête de nouveaux publics, son directeur depuis 2018, Pierre Audi, accueille pour la première fois la troupe de la Comédie-Française avec une pièce qui n’y a jamais été donnée, le très révolutionnaire Opéra de Quat’sous sur un texte de Bertolt Brecht et une musique de Kurt Weill. Et, pour la première fois, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier, devenu familier de la troupe du Français après deux mises en scène de Shakespeare (La Nuit des rois en 2018, Le Roi Lear en 2022) s’attaque à l’opéra.
Si tant est que L’Opéra de quat’sous, « stück mit musik » (pièce avec musique) soit un opéra. Plutôt une pièce avec des chansons, des songs aux rythmes entraînants qui s’impriment de manière indélébile dans les mémoires. Fortement sonorisé, le spectacle, joué, chanté et parfois dansé par la troupe survoltée, actualise le propos. Hostile (Dieu merci) à la transposition qui gangrène trop les scènes d’opéra aujourd’hui, le metteur en scène n’en apporte pas moins sa patte, établissant un parallèle entre l’époque de la création, celle chaotique de la République de Weimar préfasciste, et la nôtre.
Des chansons inédites
Créée par le duo Brecht/Weill en 1928, à Berlin, avec un grand succès, la pièce, satire de l’opéra post-romantique, tient plutôt du théâtre de tréteaux et du cabaret, mêlant jazz, comédie musicale, chansons des rues, parodies de musique religieuse (les chorals protestants). Le jeune Brecht, pas encore adepte du marxisme, expérimente la technique de la distanciation qui deviendra sa marque de fabrique, qu’il assortit d’un message anarchiste, antimilitariste, bouffeur de flics et de curés. La production d’Aix reprend la version originale de 1928, inédite en France, plus resserrée et d’esprit plus anar que celle sous laquelle elle a été mondialement diffusée au cinéma, en 1931 par Pabst. Inédites également quelques chansons prévues pour des versions ultérieures mais par la suite coupées.
Directeur artistique de la fameuse Schaubühne de Berlin, Ostermeier connaît bien l’œuvre qui, malgré le bannissement des nazis, resta pendant tout le vingtième siècle l’opéra préféré des Allemands. Le metteur en scène place les acteurs déjà sonorisés devant des micros factices fichés dans l’avant-scène. Ceux-ci retracent les mésaventures des malfrats de Londres, indiquant bien par là qu’il s’agit d’un conte musical à valeur éducative, censé maintenir en éveil le sens critique des spectateurs. D’autre scènes, plus jouées, sont hélas plus rares, sans qu’on comprenne les raisons de ce choix.
Malgré un travail scénique et musical très fouillé avec la troupe, le spectacle perd un peu son côté cabaret sur l’immense scène à ciel ouvert du Théâtre de l’Archevêché, Et ce malgré les efforts déployés par les comédiens de la troupe en très grande forme pour interpeller les spectateurs et les impliquer dans la sarabande effrénée des gueux de Londres qui a pour théâtre (purement imaginaire) les docks. Et certains gags un peu trop appuyés se traînent en longueur.
Tout le monde trahit tout le monde
L’intrigue est reprise de L’Opéra des gueux de John Gay (1728), parodie de l’opéra baroque (Haendel entre autres), qu’a fait connaître et traduit l’écrivaine Elisabeth Hauptmann, collaboratrice et maîtresse de Brecht. Le livret en trois actes, chacun terminé par un finale choral qui tourne en dérision la morale bourgeoise et religieuse, décrit un monde impitoyable de corrompus où tout le monde trahit tout le monde et où l’appât du gain fait loi.
Pour la circonstance, la Comédie-Française s’est offert une nouvelle traduction signée Alexandre Pateau. Très percutant, le texte plein de verve et de gouaille colle à la langue contemporaine avec des formules comme « D’abord la graille, et la morale, après », appelant à s’en prendre aux « chiens de la flicaille » et à ne pas céder au désespoir politique qui ouvre la porte aux dictatures. Un soin tout particulier est accordé au texte des chansons, les ballades qui émaillent tout l’opéra, dont la prosodie s’adapte à la syllabe près à la musique. Menées tambour battant au long d’un spectacle de 2h30 sans entracte, les répliques fusent comme des mitraillettes, ce qui ne les rend pas toujours très compréhensibles pour peu qu’on soit éloigné des sous-titres (seuls les textes des songs sont retranscrits en français, traduits en anglais).
Le panier de crabes des forbans est géré de main de maître par Jonatham Peachum, qui secondé par son épouse, la mégère Celia, règne sur le florissant marché des (faux) mendiants des docks. Le couple voit leur échapper leur fille Polly, qui s’est amourachée du gangster Macheath, dit Mackie, qu’elle épouse en grandes pompes granguignolesques dans une… écurie. Celui-ci est un sacré coureur et un fieffé mac, déjà fiancé à Lucy, la fille du shérif véreux Brown qui le protège. Sans parler de Jenny, la pute avec qui il a connu l’amour vache. Le tout en pleines cérémonies du couronnement de la reine, une aubaine pour les malfrats accourus en nombre. Échappant de justesse à la pendaison, Mackie est finalement gracié dans un happy end inattendu. Mais, précise l’épilogue, « ça n’arrive jamais dans la vraie vie ! ». Un dernier couplet ajouté spécialement pour le 75e anniversaire d’Aix enjoint le public à « prendre les armes contre le retour des fascistes » et éviter ainsi la répétition de la grande catastrophe du XXe siècle.
Pont métallique et collages
Pour s’y retrouver, des textes lumineux défilent dans des bandeaux rouges qui se croisent côté jardin, donnant le titre du song ou résumant l’action en cours. Au départ complètement nue, la scène se peuple au fur et à mesure de l’avancée du spectacle d’un pont métallique qui crée un deuxième niveau autorisant une circulation fluide des acteurs. Tandis que sur le fond de scène s’affichent des collages et incrustations, très graphiques, d’images fixes ou animées issues des avant-gardes du XXe siècle : agit-prop, constructivisme, dada, jusqu’au pop art et au glam-rock.
Très soigné également, le travail fourni par le jeune chef Maxime Pascal qui à la tête de son ensemble Le Balcon n’hésite pas à sonoriser les instruments, guitare et basse notamment et clavier électronique. Avec sa dizaine de musiciens, certains multi-instrumentistes, le chef donne à entendre toute la diversité de la palette musicale déployée par Kurt Weill, dont il relève les sources, Mahler et Schönberg, jusqu’aux musiques des rues d’Europe centrale.
Tous les membres de la Comédie-Française se prêtent avec enthousiasme aux indications du metteur en scène et du chef, avec plus ou moins de bonheur dans le chant. Christian Hecq est un bateleur parfait dans le rôle de Peachum, flanqué de son inévitable Celia (impayable Véronique Vella). Dans le rôle de leur fille Polly, Marie Oppert, beau brin de voix venue de la comédie musicale, récemment intégrée à la troupe, fait merveille, tandis qu’Elsa Lepoivre affiche l’élégance féline qui lui est coutumière. Un cran en dessous Birane Ba est un Mackie assez falot, Benjamin Lavernhe, un shérif Brown vibrionnant, Claïna Clavaron, une Lucy retentissante.
Photo Jean-Louis Fernandez
Théâtre de l’Archevêché, jusqu’au 24 juillet. www.festival-aix.com
Direction musicale : Maxime Pascal. Adaptation et mise en scène : Thomas Ostermeier. Scénographie : Magdalena Willi. Costumes : Florence von Gerkan. Lumiere : Urs Schönebaum. Chorégraphie : Johanna Lemke. Vidéo : Sébastien Dupouey. Dramaturgie et collaboration artistique : Elisa Leroy. Traduction : Alexandre Pateau.
Avec Véronique Vella, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Benjamin Lavernhe, Birane Ba, Claïna Clavaron, Marie Oppert. Orchestre le balcon et le Choeur amateur Passerelles.
Reprise à la salle Richelieu de la Comédie française, à Paris, du 23 septembre au 5 novembre, www.comedie-francaise.fr