Intérieur de Maurice Maeterlinck

Du silence des mots à la parole hésitante

Intérieur de Maurice Maeterlinck

Tandis qu’une famille ordinaire veille dans un salon tranquille, des gens vont bientôt y ramener le corps d’une de leurs filles noyée par accident. Ceux-là s’interrogent : comment annoncer cette tragique nouvelle ?

Soirée normale dans une famille. La mère, le père et deux de leurs filles sont ensemble dans le silence tranquille d’un moment apaisé. Ils n’ont rien à se dire et ne se disent rien. Mais tout, dans leur comportement montre une heureuse entente tacite.

Dehors, les bruits de la nuit. Peu à peu, le temps change et c’est bourrasque, remous, tonnerre, remue-ménage tandis que la maison disparaît pour laisser place à une forêt, étrange, brumeuse, obscure. Elle est parcourue par des gens. Ils marchent, cherchent, s’affolent, défilent, reviennent, se séparent, se regroupent.

Finalement, deux puis trois se retrouvent esseulés. Nous les voyons en train d’observer la fenêtre éclairée de la maison familiale. Ils s’interrogent. Comment annoncer à cette famille sans histoire que la cadette est morte noyée et que des gens rapportent le corps ?

La pièce de Maeterlinck a pour thème le silence. Mais aussi le silence qui précède la parole. Ce moment durant lequel on cherche quoi et comment dire. Voilà pourquoi Héloïse Jadoul a choisi de ne donner la parole à ses comédiens que lors de la dernière partie de la représentation.

Le temps qui précède est dévolu à la présence corporelle du cercle familial. Il y a quelque chose de fort qui s’installe entre scène et salle. Aucun geste n’est brusque. Les mimiques marquent des échanges qui se devinent. La connivence des regards est intelligible. Tout se passe non en apesanteur mais en atemporalité car les minutes passent sans qu’on s’en rende compte. Lorsqu’une fille puis le père sortent vers le jardin et que la mère les suit, la lumière prend le relais. On sent que l’ombre de cette femme, nette sur le lisse de la porte ouverte est un personnage à part entière.

Désormais l’éclairage devient protagoniste essentiel de l’histoire. Il crée le fantomatique de la forêt. Il décore la brume. Il laisse deviner les corps et les visages de figurants qui passent et repassent au cours d’une très longue chorégraphie de chassés-croisés, de rituels plus ou moins ésotériques. C’est lui encore qui, brutalement, sur fond immaculé de cyclorama, fera se découper en ombre chinoise ceux qui vont devoir annoncer le décès et parlent une langue d’oralité.

Le pari d’Héloïse Jadaoul est en grande partie gagné (en dehors des quelques longueurs de la deuxième partie) grâce à sa direction d’acteurs. Grâce à une scénographie intelligente et évocatrice entre réalisme méticuleux et fantastique suggéré de Bertrand Nodet. Grâce aux lumières gérées par un Amaury Barronnet qui n’a pas lésiné sur l’usage des projecteurs, qui est parvenu à susciter des ambiances diverses et contrastées. Grâce encore à une bande son acousmatique d’Olmo Missaglia qui a réalisé quantité de sonorités soit énigmatiques, soit naturalistes, soit mélodiques, soit discordantes et qui a joué avec des rythmes et des hauteurs sonores susceptibles de créer des tensions nourricières d’émotions.

Durée : 1h15
09-12 mars 2022Maison de la Culture Tournai [Be]

Lire : Maurice Maeterlinck, « Trois petits drames pour marionnettes », Bruxelles, Labor, 2015
ou www.ae-lib.org.ua/texts/maeterlinck__interieur__fr.htm
Comparer : version de Boudjenah www.webtheatre.fr/Interieur-de-Maurice-Maeterlinck-5553
version de Claude Régy www.webtheatre.fr/Interieur-de-Maurice-Maeterlinck

Texte : Maurice Maeterlinck
Projet initié, mise en scène : Héloïse Jadoul
Interprétation : Sarah Grin, Ophélie Honoré, Manon Joannotéguy, Alexandre Trocki et un groupe d’une dizaine de personnes
Régie plateau : Sandrine Nicaise
Régie lumière : Aumaury Baronnet
Régie son : Jérémy Michel
Création sonore : Olmo Missaglia
Création lumière, régie générale : Angela Massoni
Scénographie et costumes : Bertrand Nodet
Construction décor : Olivier Waterkeyn, Boris Dambly, Eugénie Obolensky, Sébastien Munck
Création chorégraphique : Lorenzo De Angelis
Photo © Alice Piemme
Stagiaire assistanat à la mise en scène : Mizuki Kondo
Production : Théâtre de la Balsamine
Coproduction : Mars – Mons arts de la scène, maison de la culture de Tournai, Coop asbl – Shelter prod
Soutiens : Fédération Wallonie-Bruxelles – Service du Théâtre, Taxshelter.be, ING, Tax-Shelter du Gouvernement fédéral belge

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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