Candide

Voltaire à l’aise sur les planches

Candide

Comment porter à la scène Candide, conte philosophique, récit de formation et voyage initiatique de surcroit, né de la plus mordante et la plus drôle des plumes des Lumières nommée Voltaire (1759) ? De la manière en apparence la plus simple, répond Arnaud Meunier : en contant presque in extenso les mille et une aventures qui traversent le roman en trente chapitres, tous plus hilarants les uns que les autres. Avec pour cible l’optimisme invétéré de la pensée jésuite dominante qui, sous l’égide du philosophe allemand Leibniz, a posé une fois pour toutes que « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».

Mais loin d’un récit plat à la troisième personne qui serait fastidieux au théâtre, chaque acteur porte à la scène son propre personnage et s’implique dans le vécu de ses propres péripéties. Cela s’appelle l’incarnation, qui donne à la narration toute la chair requise, chacun portant sur son corps les stigmates des innombrables tortures infligées par un monde qui se révèle, aux yeux du naïf Candide, tout sauf parfait.

Malgré quelques longueurs et baisses de régime, le metteur en scène Arnaud Meunier orchestre une sarabande endiablée, parfois dansée et chantée, qui nous promène aux quatre coins du monde, de catastrophes naturelles en tyrannie, injustice, asservissement, autodafé, guerre et autre fanatisme religieux qui infligent un démenti cuisant à l’optimisme philosophique. Plein de surprises, le spectacle est servi par la joyeuse bande d’une dizaine d’acteurs/conteurs qui endossent souvent plusieurs rôles, les principaux étant issus de la Comédie de Saint-Etienne qu’Arnaud Meunier a dirigée jusqu’en 2020, année où il a pris la tête de la MC de Grenoble. Parmi ces jeunes pousses, Romain Fauroux qui a juste ce qu’il faut de fraîcheur et de vivacité pour incarner un Candide touchant et Cécile Bournay qui, non contente d’interpréter (entre autres) une Vieille saisissante de vérité, joue de l’accordéon.

Les costumes bigarrés, les perruques hautes en couleur et quelques trouvailles de mise en scène donnent à la pièce des allures de livre d’images, d’album de BD inspiré par Sfar qui a d’ailleurs illustré Candide. Après une tournée contrariée par la pandémie, la pièce créée à Saint-Etienne en novembre 2020 passe par Paris, à l’Espace Cardin (salle décentralisée du Théâtre de la Ville pendant travaux) avant de reprendre la route.

Comme château de cartes

La scène est conçue comme une vignette de BD, un grand rectangle découpé dans le mur du fond, sans accessoires ni autre décor qu’un savant éclairage et quelques vidéos. De chaque côté, deux musiciens, l’un au piano, l’autre à la batterie, annoncent en aboyeurs les chapitres de la narration. Surplombant la vignette trône en forme de surtitre la devise « le meilleur des mondes possibles » du Docteur Pangloss, précepteur de Candide. Ce maître en « métaphysique théologo-cosmologie-nigologie » raisonne à longueur de journée des causes nécessaires et de leurs effets et verra, en même temps que son élève, toutes ses belles théories s’effondrer comme château de cartes.

Élevé dans le château du baron de Thunder-ten-tronckh, l’un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, Candide, à la naissance obscure, en est chassé pour avoir conté fleurette à la fille de son hôte, Mademoiselle Cunégonde. Tout le reste du récit va consister à retrouver sa Dulcinée, elle aussi chassée du château ainsi que ses parents et Pangloss par une invasion bulgare. Candide n’a de cesse de retrouver sa dulcinée, prétexte à un périple rocambolesque à travers l’Europe puis l’Amérique du Sud pour finir à Constantinople via Venise. Avec quelques temps forts qui le verront successivement échapper à une terrible tempête, survivre au (vrai) tremblement de terre qui frappa Lisbonne (en 1755), esquiver les foudres de l’Inquisition et les innombrables avatars de la bêtise humaine qui se trouvent sur sa route.

Avec quelques rencontres heureuses toutefois, celle notamment d’une créature nommée la Vieille, dont l’expérience et le bon sens lui servent de boussole. Et la découverte de l’Ile de l’Eldorado qui lui font croire à la possibilité d’un bonheur terrestre. Reste ce constat terrible d’un esclave noir maltraité par son maître : « Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous ».

Candide de Voltaire, jusqu’au 18 février, Espace Cardin, theatredelaville-paris.com
Mise en scène : Arnaud Meunier. Collaboration artistique : Elsa Imbert. Version scénique, dramaturgie et assistanat à la mise en scène : Parelle Gervasoni, vidéo d’Emmanuel Vérité.
Avec Cécile Bournay, Philippe Durand, Gabriel F., Romain Fauroux, Manon Raffaelli, Nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Frederico Semedo, Matthieu Desbordes, Matthieu Naulleau. Composition musicale : Matthieu Desbordes, Matthieu Naulleau. Scénographie et vidéo : Pierre Nouvel. Lumière : Aurélien Guettard. Costumes : Anne Autran. Perruques et maquillage : Cécile Kretschmar. Regard chorégraphique Jean-Charles Di Zazzo

Tournée :
22—23 février, Les Quinconces - L’Espal, Scène nationale du Mans
09—11 mars, Les Théâtres, Jeu de Paume, Aix-en-Provence
23—24 mars 2022, Comédie de Saint-Etienne
Photo Sonia Barcet

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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