Au Théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 11 mai

Bérénice de Jean Racine

La mise en scène cérébrale de Guy Cassiers est sauvée par les acteurs à la diction impeccable.

Bérénice de Jean Racine

Deux acteurs pour quatre rôles masculins. C’est le curieux choix de Guy Cassiers dans sa mise en scène décapante et cérébrale de Bérénice, au Vieux-Colombier. Sur l’espace restreint du petit théâtre de la Comédie-française, resserrer la distribution pour cette pièce extrêmement dense et tendue de Racine (1670), qui ne compte que six rôles en tout et pour tout, c’est jouer la stylisation à l’extrême. Au risque de semer parfois la confusion dans la compréhension de l’intrigue. Sans que le bénéfice de cette économie de moyens humains apparaisse clairement.

Ce qui est clair, en revanche, c’est la volonté du metteur en scène flamand de respecter la merveilleuse langue racinienne avec ses alexandrins balancés, servis par des comédiens à la diction impeccable. Un classicisme qui contraste fortement avec la modernité visuelle et sonore de la scénographie signée également par Guy Cassiers, avec Bram Delafonteyne.

La tragédie historique dont « l’invention consiste à faire quelque chose de rien », disait Racine dans sa préface, se déroule tout entière dans un espace glacé, une antichambre donnant sur l’extérieur par une immense verrière. Derrière, des projections vidéo évoluent vers l’abstraction à mesure que les passions vont crescendo. Tout comme les bruitages composant l’univers sonore de plus en plus présent. Au centre, une énigmatique statue suspendue, un buste cubiste dont l’apparence évolue elle aussi au fil de l’action. Si bien que la scène baigne dans une atmosphère légèrement différente à chacun des cinq actes.

Butin consentant

A l’acteur Jérémy Lopez échoit la partie la plus difficile de l’interprétation. Celle d’incarner à la fois Titus, nouvel empereur de Rome après la mort de son père, et son meilleur ami et allié, Antiochus, roi de Comagène. Tous deux sont éperdument amoureux de la même femme : Bérénice, reine de Judée, conquise récemment par Rome. Butin consentant emportée par son amant dans la capitale du monde, la voici répudiée à présent, victime d’une loi romaine intangible qui interdit à l’empereur d’épouser une reine étrangère.

Tandis que Titus est empêché dans son amour par la raison d’état, Antiochus, lui, l’est par sa fidélité à son meilleur ami, qu’il ne saurait tromper. Y-a-t-il une équivalence entre ces deux empêchements et dans l’impossibilité où sont les deux personnages de trancher en faveur de leur amour ? C’est l’une des interprétations possibles de cette mise en scène qui se veut ouverte. Il s’agit « d’induire dans l’esprit du public la possibilité de se rencontrer soi-même », dit le metteur en scène dans le programme de salle, se gardant des « dramaturgies autoritaires ». Le fait est qu’il introduit de la complexité là où Racine prônait la simplicité.

Pour les deux acteurs la gageure est d’exprimer différemment un même sentiment amoureux ? Malgré tout son talent, Jérémy Lopez, qui manque parfois de grandeur, est à la peine dans le pari, il est vrai impossible, de donner l’illusion d’une situation réaliste. Notamment lorsque les personnages de Titus et d’Antiochus sont sur scène en même temps. Un simple manteau qu’on enlève ou remet est censé distinguer les deux personnages. Ou bien c’est un truchement, une silhouette derrière un paravent avec la voix de Jérémy Lopez préenregistrée. On s’y perd, notamment au dénouement, lorsque Bérénice s’adresse à Antiochus, présent sur scène, puis à Titus représenté par … son manteau.

La partie est plus facile pour Alexandre Pavloff, qui incarne à la fois Paulin, confident de Titus, et Arsace, celui d’Antiochus. Au premier, l’acteur confère la verve et l’ambigüité du courtisan, admirateur – voire amoureux – de son maître, l’encourageant à jouer la carte du pouvoir contre son amour. Au second, il manifeste toute son empathie dans son combat amoureux perdu d’avance.

De même Clotilde de Bayser dans le personnage de Phénice, confidente de Bérénice, fait preuve d’une prévenance constante, d’une sollicitude touchante à l’égard de sa reine malheureuse et déchue.

Royale conformément à son statut, Suliane Brahim est confondante de naturel dans son amitié déçue pour Antiochus et son attachement exacerbé à Titus. Forte dans son désespoir, charnelle dans sa passion, elle ne se résigne pas à la survie en apnée, seul horizon de ses deux prétendants. Avec elle, on partage la douleur lancinante formulée dans la fameuse tirade « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur… ». Au final, on n’est pas près d’oublier la femme outragée, pleine d’amour et de rage, qui se retire avec élégance.

Bérénice, de Racine, au Vieux-Colombier, jusqu’au 11 mai, https://comédie-francaise.fr
Avec Alexandre Pavloff, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jérémy Lopez et Pierre-Victor Cabrol
Mise en scène : Guy Cassiers. Scénographie : Guy Cassiers et Bram Delafonteyne. Costumes : Anna Rizza. Lumières : Frank Hardy. Vidéo : Bram Delafonteyne et Frederik Jassogne. Musique originale et son : Jeroen Kenens

Tournée :
14-15 Mai, Maison des Arts, Créteil
20 Mai, L’Onde, Vélizy-Villacoublay
12 Juin, Théâtre National De Budapest, Festival Mitem (Hongrie)

Photo : Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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