Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck

La très inspirée Iphigénie de Carsen

Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck

Robert Carsen signe une mise en scène psychologique particulièrement poétique et aboutie, déjà vue en 2006 à Chicago. Le Théâtre des Champs-Elysées, plongé dans la noirceur des âmes et le courroux des Dieux, tremble devant cette Iphigénie en Tauride, dont le rôle-titre est remarquablement incarné par Gaëlle Arquez.
D’emblée, le ton est donné : sur une scène cernée par trois hauts murs de dalles noires (décors de Tobias Hoheisel), sans issue ; l’oppression palpable se conjugue à l’urgence. On doit à Philippe Girardeau l’ingénieuse et tumultueuse chorégraphie qui gagne la scène en miroir de l’embrasement de la fosse. La première scène est marquante par sa densité et sa violence : les danseurs et danseuses se poignardent et s’égorgent, gisent sur le sol laissés pour morts avant de renaître et de commettre le crime à leur tour. La mort, en cycle perpétuel, pèse et résonne : celle d’Agamemnon et Clytemnestre, celle de ceux qui mettront à l’avenir le pied sur cette terre. Car Iphigénie, ses parents sacrifiés, est tenue d’éliminer chaque nouveau visiteur arrivant en Tauride…
Peu d’accessoires sur cette scène sobre, sombre et enfermante -allégorie de Tauride, une presqu’île ?-, sinon ces dagues, aux lames brillantes et acérées. Iphigénie en saisit une, la laisse planer au-dessus d’Oreste, consacré sur l’autel, avant de l’épargner, reconnaissant son frère au dernier instant. Une valse des dagues par les danseurs laisse un souvenir magnifique et bouleversant. L’ensemble est sublimé par un travail de lumières qui produit des effets scéniques étonnants.

Sur les murs noirs de cette scène, Iphigénie, Agamemnon, Clytemnestre tracés à la craie. Procédé esthétique qui habille temporairement ces cloisons, car les lettres seront effacées par des éponges gorgées d’eau. On en devinera la forme quand même, plusieurs minutes encore, avant qu’elles ne s’évaporent. Doit-on y comprendre une métaphore de l’oubli ou de la mémoire, un aller-retour entre le passé et le futur ?
Ce que l’on voit sur scène est fin et puissant. Ce tourbillon dramatique jamais ne délaisse le sens de l’œuvre. Le jeu d’acteur est précis et s’articule avec harmonie avec cette chorégraphie tragiquement fougueuse. C’est sûrement pour privilégier cette unité que les chœurs du Balthasar-Neumann-Chor sont relégués dans la fosse : étonnant choix acoustique, auquel on s’habitue finalement. La prestation est vive et précise, elle apporte une force dramatique certaine. La direction de Thomas Hengelbrock, très appliquée, donne un relief intéressant à la musique, jamais plate ou ennuyeuse. La partition ne réclame-t-elle pas toutefois un peu plus d’énergie encore ? Le Balthasar-Neumann-Ensemble, sur instruments d’époque, montre de jolies couleurs.
C’est une prise de rôle pour Gaëlle Arquez dont l’engagement dans cette Iphigénie est total. Elle jongle avec adresse entre les sentiments qui l’étreignent, tant dans les airs intimes que dans l’emphase : la peine, la crainte, la folie, la vengeance. En robe noire, longs cheveux noirs détachés, elle prend les allures d’une errante fantomatiques pour revenir aussitôt toute de chair et de hargne. Sa présence scénique est indiscutable, tout autant que ses qualités vocales superbes. On reconnaît son timbre voluptueux, cette ligne de chant délicate, ses aigus perçants et ce vibrato rapide.
A son côté, Stéphane Degout fait un Oreste grand et souverain. Le baryton français dégage une sérénité absolue et fait valoir une voix claire et puissante, des couleurs tout aussi sombres qu’éclatantes quand l’héroïsme le transcende. Le duo avec Pylade à l’heure du sacrifice, où est repris le joli « la mort est une faveur puisque le tombeau nous rassemble » est saisissant.
Le ténor Paole Fanale, en Pylade, montre beaucoup d’aisance des notes les plus graves jusqu’à l’aigu, aux accents parfois nasaux. La diction laisse entendre quelques confusions, qu’un jeu d’acteur, une belle émission et un sens de la mélodie compensent largement.
La stature et la brutalité de Thoas en font un personnage effrayant et sombre hanté par de « noirs pressentiments ». La voix de Thomas Duhamel est claire et bien projetée mais on peut regretter davantage de consistance, d’épaisseur au timbre.
Catherine Trottman en deuxième prêtresse et Diane montre un joli équilibre. Son intervention depuis la salle -un nuage dans le livret- au premier balcon en fin de Quatrième Acte est lumineuse et tranquille.
Les seconds rôles par Charlotte Despaux, Victor Sicard et Francesco Salvadori sont très bien tenus et complètent une soirée intense, émouvante, bouleversante…

Iphigénie en Tauride, opéra de Christoph Willibald Gluck, tragédie lyrique en quatre actes créée en 1779. Livret de Nicolas-François Guillard.
Direction Thomas Hengelbrock, Mise en scène Robert Carsen, Chorégraphie Philippe Giraudeau, Décors et costumes Tobias Hoheisel, Lumières Robert Carsen et Peter van Praet.
Balthasar-Neumann-Ensemble, Balthasar-Neumann-Chor.
Avec : Gaëlle Arquez, Stéphane Degout, Paolo Fanale, Alexandre Duhamel, Catherine Trottmann, Francesco Salvadori, Charlotte Despaux, Victor Sicard.
Crédits photo : Vincent Pontet

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Quentin Laurens

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