Athènes, Paris et le mélodrame

L’Association La Nouvelle Athènes poursuit son aventure au pays des pianos du XIXe siècle.

Athènes, Paris et le mélodrame

ON CONNAÎT L’AMBITION de l’association La Nouvelle Athènes : créer une scène romantique à Paris et, plus précisément, redécouvrir la pratique des pianos qu’on jouait vers 1830. Réunir une collection d’instruments, enregistrer des disques, donner des concerts font naturellement partie de son programme*. Quatre concerts sont annoncés cet automne et cet hiver, dans le cadre intime et chaleureux de la Salle Cortot. Le premier a eu lieu le 11 décembre, trois pianistes étant conviés à jouer un Streicher, du nom de Johann Baptist Streicher (1796-1871), facteur de piano viennois dont les instruments, paraît-il, étaient les préférés de Brahms.

Tout commence par les Scènes d’enfant de Schumann jouées, pour la première moitié, par Laura Granero. Le piano de 1847 sonne d’abord mat et sans couleur. On se croirait dans Le Piano enragé, la nouvelle de Berlioz (dont le 11 décembre est la date anniversaire de la naissance) où l’on trouve au début le piano « un peu dur » ! Après la « Rêverie » interprétée avec un accompagnement du violoncelliste Aldo Mata, Sebastian Bausch prend le relais. Avec une grande douceur dans le toucher, il arrive à réveiller le piano. Suivent quelques pages de Schumann et Brahms interprétées par l’Ensemble Marie Soldat (qui réunit, outre les trois instrumentistes cités, le violoniste Johannes Gebauer).

On retrouve Laura Granero dans un Carnaval de Schumann tronqué d’un quart (mais le programme de salle indique honnêtement : « sélection »), ce qui n’a guère de sens : pourquoi nous priver de « Pantalon et Colombine » ou des « Lettres dansantes », et nous faire entendre ensuite la Romance op. 28 n° 2 du même Schumann, qui d’ailleurs réussit mieux à la pianiste que tout ce qui précède ? Il y a là un problème de rythme et d’équilibre dans le programme, à la fois copieux et frustrant.

L’art renouvelé du mélodrame

On change de dimension après l’entr’acte avec Olga Pashchenko, qui fait sonner admirablement le Streicher dans une série de pages de Fanny et Felix Mendelssohn. Virtuoses, mélancoliques ou simplement élégantes, ces pièces sont interrompues par deux mélodrames dits par Jed Wentz et accompagnés par la même Olga Pashchenko. Le mélodrame, comme son nom l’indique, est un genre qui convoque non pas un chanteur mais un comédien, lequel déclame un texte poétique ou dramatique sur une trame musicale jouée au piano. Schumann, Liszt, mais aussi le méconnu Carl Loewe (1796-1869), dont le cœur est conservé au sein d’une urne dans la cathédrale de Stettin (aujourd’hui Szczecin en Pologne) ont pratiqué le genre, que Daniel Mesguich et Cyril Huvé ont beaucoup illustré. Mais Jed Wentz a choisi d’aller plus loin et d’étudier la diction et la gestique des comédiens du XIXe siècle, un peu à la manière de Benjamin Lazar s’efforçant de retrouver tous les éléments de la pratique théâtrales du XVIIe siècle. N’oublions pas en effet qu’Harriet Smithson et Garrick, lorsqu’ils vinrent jouer Shakespeare en anglais à Paris en 1827, impressionnèrent aussi par leur art de la pantomime.

Avec sa barbe argentée et sa culotte de velours, Jed Wentz a fière allure. Flûtiste et chef d’orchestre, il s’est lancé dans la recherche de la gestique théâtrale mais, précision importante, est né aux États-Unis (la soirée avait d’ailleurs commencé par une brève conférence donnée en anglais par Clive Brown, spécialiste de Spohr, sur l’art du portamento, du vibrato et de l’accord arpégé). C’est pourquoi il nous livre une Schön Hedwig de Schumann en anglais avant d’interpréter, cette fois en français, Lenore de Liszt, sur la célèbre ballade de Burger (« Les morts vont vite ! ») traduite en alexandrins rimés par Alexandre Picot. C’est là sans doute la partie la plus étonnante de la soirée : Jed Wentz joue de son corps, de ses yeux, de ses gestes, bien sûr de sa voix. Il fait des crescendos, imite le bruit de la cloche, ressuscite un jeu théâtral d’une grande richesse d’accents et d’intentions. Comme une pièce de Racine dite avec l’accent qu’on imagine être celui du Grand Siècle, la démarche est dépaysante ; mais si on s’abandonne à l’art du comédien, l’effet est saisissant. Par ailleurs, le fait d’entendre avec un accent d’outre-Atlantique, mais avec une diction fort travaillée, un pareil mélodrame, ajoute au dépaysement. Une scène romantique ne peut qu’être une scène de l’imprévu.

Illustration : Olga Pashchenko et Jed Wentz à la salle Cortot (photo Florence Riou).

* Vient de paraître : « Dans un salon de La Nouvelle Athènes », 1 CD Son an ero 14. Œuvres de Czerny, Weber, Chopin, etc. par Laura Granero, Olga Pashchenko, Edoardo Torbianelli et l’ensemble Lélio. Piano Érard 1838.

« Schumann à la recherche de l’esprit romantique » : œuvres de Schumann, Brahms, Felix Mendelssohn, Fanny Mendelssohn et Liszt. Ensemble Marie Soldat, Olga Pashchenko (piano), Jed Wentz (déclamation). Salle Cortot, 11 décembre 2019.
Prochain rendez-vous avec La Nouvelle Athènes : le 18 décembre (« Le voyage de Johann-Christoph-Friedrich Bach »), 20 décembre (« Dans un salon de La Nouvelle Athènes avec Franz Schubert »), 7 février (« Dans les salons parisiens sous le Ier Empire ») ; les 8 et 9 février : « Le piano carré Erard 1806 au Reid Hall ».

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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