Roberto Devereux de Donizetti au Grand Théâtre de Genève
Un éclatant Roberto Devereux
Conventions belcantistes et véristes permettent de goûter le dernier volet de la trilogie Tudor de Donizetti.
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- 4 juin
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Le Grand Théâtre de Genève vient de présenter Roberto Devereux (1837) de Gaetano Donizetti (1797-1848), troisième et dernière œuvre de ce que l’on appelle « la trilogie Tudor », qui commence avec Anna Bolena (1830) et se prolonge avec Maria Stuarda (1835). Le livret raconte sous une forme plus dramatique que respectueuse de l’histoire officielle, les derniers moments du règne d’Élisabeth Ire d’Angleterre (1533-1603) et, en particulier, la fin sanglante de son favori (son amant dans l’opéra) Robert Devereux, comte de Sussex (1565-1601) qu’elle fit exécuter, l’accusant de trahison.
Le livret de Salvatore Cammarano (d’après Le Comte d’Essex de Thomas Corneille) nous dit que la reine Elisabetta aime Roberto malgré les accusations de sédition qui pèsent sur lui. Et qu’en plus de tramer un complot contre elle, il la trahit avec Sara (un amour de jeunesse), actuellement dame de compagnie de la reine et épouse du duc de Nottingham, ce dernier étant le meilleur ami de Roberto et son seul défenseur au tribunal. La pièce se termine par l’exécution de Roberto, la disparition d’Elisabetta et l’intronisation de Jacques Ier d’Écosse sur le trône d’Angleterre. De la fin de Sara, personnage totalement fictif, le librettiste ne nous dira rien.
Arbres virtuels
Mariame Clément, qui signe la mise en scène, nous présente une scénographie sobre et élégante, signée Julia Jansen, mélangeant lignes droites et couleurs marron, élaborée grâce à des éléments de décor facilement transportables et permettant de changer les différents lieux de l’action avec une certaine fluidité. Afin de compléter le tableau, principalement au fond de la scène, on peut voir des arbres sans feuilles, accompagnés parfois d’arbres virtuels en vidéo imaginés par Clara Pons, mais aussi de la neige de théâtre qui illustrent parfaitement le caractère lugubre du drame. Julia Jansen habille Elisabetta comme au XVIe siècle. En revanche, les autres acteurs sont vêtus comme aujourd’hui, le chœur (hommes et femmes) portant une veste et un pantalon, et parfois une fraise autour du cou. Sara, épouse de Nottingham et cause involontaire (?) du drame, est vêtue d’un pantalon et d’un simple chemisier, tenue symbolique qui représente son tempérament moderne.
Mariame Clément, chargée de la mise en scène, structure l’action dramatique en mélangeant conventions théâtrales belcantistes (en respectant les longues tirades des chanteurs), et véristes lors de la scène d’intimité entre les deux amants, ou celle de la colère de Nottingham, qui se voit trompé par son meilleur ami. Choix qui dynamisent le récit.
Stefano Montanari, face à l’Orchestre de la Suisse romande, nous offre une version de haute volée. Dès l’ouverture, le chef italien fixe une ligne musicale enlevée, ponctuée par la batterie et les registres graves. Afin de faciliter le travail des chanteurs, il donne quelques recommandations : intensité pour les cordes, lyrisme pour les bois, sensibilité et douceur pour tous.
Des voix de rêve
Tout est donc prêt pour que les chanteurs puissent briller. Ce qu’ils font. Elsa Dreisig (Elisabetta) maintient sa position hiératique jusqu’à la fin de la nuit – son habillement et son maquillage étant là pour l’aider. Cette posture étant adéquate à la cour, un peu moins lors des moments d’effusion en compagnie de son amant. Vocalement impeccable, ainsi que les trois autres solistes, elle donne une version magistrale des monologues de la reine, combinant agilité, puissance et hauteur de registre.
Stéphanie d’Oustrac (Sara), malgré de petites défaillances lors de sa première intervention, s’empare rapidement de la situation théâtrale, complexe pour elle à cause des exigences de la directrice de scène. Son émission claire, compréhensible, assurée, donne à son personnage tourmenté une version vocale et dramatique de haut niveau. Simon Alaimo (Nottingham), au sommet de ses moyens vocaux, capte l’attention du public dès sa première note. Peu avare en décibels et en effort physique, sans tomber cependant dans un pathos excessif, il décline une large palette de couleurs et de nuances dramatiques, passant de l’époux sûr de la fidélité de son épouse et ardent défenseur de son ami persécuté à l’accusateur fiévreux dès lors de la découverte de la trahison de l’un et de l’autre. Edgardo Rocha fait sien le rôle de Roberto, affinant ses déclarations en fonction de ses interlocuteurs. Il offre un ensemble de notes aiguës parfaites et maintient une émission en mezzo- forte, montrant un bon contrôle de sa voix et une certaine fragilité émotionnelle, principale caractéristique du personnage.
Les autres artistes sur scène sont eux aussi excellents et méritent nos applaudissements : Luca Bernard (Lord Cecil), Sir Gualtiero Raleigh (William Meinert), Ena Pongrac (Un page), Sebastià Peris (Un parent de Nottingham). Quant au chœur du Grand Théâtre de Genève, bien préparé par Mark Biggins, il joue sa partition avec brio.
Illustration : photo Magali Dugados
Donizetti : Roberto Devereux. Production du Grand Théâtre de Genève. Avec Edgardo Rocha (en alternance avec Mert Süngü), Elsa Dreisig (en alternance avec Ekatenina Bokanova), Stéphanie d’Oustrac (en alternance avec Aya Wakizono), Nicola Alaimo, Luca Bernard, William Meinert, Ena Pongrac, Sebastià Peris. Mise en scène : Mariame Clément ; décors et costumes : Julia Jansen ; lumières : Ulrik Gad, ; vidéo : Cllara Pons. Chœur du Grand Théâtre de Genève, Orchestre de la Suisse romande, dir. Stefano Montanari. Grand Théâtre de Genève, 31 mai 2024.