Gran Teatre del Liceu (Barcelone. Espagne)
« Turandot » de Giacomo Puccini
Une mise en scène classique avec quelques surprises
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- 4 août 2009
- Critiques
- Opéra & Classique
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Le “Gran Teatre del Liceu” de Barcelone a proposé, pour clore la saison 2008-09 l’oeuvre « Turandot », laissée inachevée par Giacomo Puccini et terminée par Franco Alfano, auteur de l’opéra « Cyrano de Bergerac » entre autres.
L’importance de l’identité
Turandot est une princesse chinoise qui a solennellement déclaré qu’elle épouserait uniquement le prince capable de résoudre trois énigmes. Si le prince n’arrive pas à résoudre les énigmes proposées, son sort sera scellé : il mourra. Beaucoup s’y sont essayé mais nul n’y est parvenu. Arrive alors Calaf accompagné de son père le roi Timour et de l’esclave Liù, et lui les résout. Turandot n’accepte pas de l’épouser malgré sa promesse. Calaf lui donne alors une opportunité pour la délivrer de son engagement : elle doit trouver son nom avant l’aube. On interdit de dormir à tous les habitants de la ville de Pékin car ils doivent trouver à tout prix le nom de l’étranger. Liù, l’esclave, menacée de mort préfère se suicider plutôt que de dévoiler le nom de son maître, qu’elle aime depuis longtemps. Finalement c’est Calaf lui même qui révèle son nom à Turandot. La princesse, amoureuse de lui, au lieu de le dénoncer, déclare à son père et à tout le peuple réuni qu’elle a découvert l’amour grâce au prince mystérieux.
Une production quelque peu passéiste et de belles voix
La mise en scène de Núria Espert à été présentée pour la première fois lorsque le Liceu a réouvert ses portes en 1999, après l’incendie qui avait ravagé la salle en 1994. Classique en diable, la mise en scène avec des décors en carton-pâte –Enzio Frigerio- et des costumes d’une Chine de carte postale –Franca Squarciapino-, introduit cependant deux innovations intéressantes. Elle situe le dernier dialogue, composé par Franco Alfano, dans un décor intemporel –une nuit étoilée- et termine l’histoire par le suicide de Turandot qui, bien qu’ayant connu l’amour après le baiser du prince, ne se résout pas à accepter d’être sous son emprise. C’est une fin bien plus mélodramatique mais plus logique aussi que celle proposée par Giacomo Puccini.
Lors de la représentation du 30 juillet le choeur du Liceu –José Luis Basso- appuyé par la Polifònica del Puig-Reig –Ramón Noguera- a assuré la continuité de la soirée grâce à une ample palette d’effets allant du lyrisme le plus pur et suave, lors de l’invocation à la lune, à l’impressionante expression de « fortissimi » qui firent trembler les murs du Grand Théâtre.
Gabriel Bermúdez –Ping-, Eduardo Santamaría –Pang- et Vicens Esteve Madrid –Pong- ont donné des trois bureaucrates de palais une image vocale et dramatique amusante et rigoureuse. Ils ont été très justement applaudis. On attendait beaucoup de l’espagnole Ainhoa Arteta dans le rôle de Liù. Elle n’a pas déçu. Elle a exprimé sa passion retenue et son amour sans lendemain pour Calaf grâce à une grande variété de nuances, un style élégant et raffiné, sans aucune difficulté vocale, même si un point métallique dans son émission est venu raidir quelque peu ses propos ici ou là.
Un duo d’amour ou un match de tennis ?
Marco Berti a campé un Calaf très à l’aise dans l’aigu « fortissimo » ce qui ne l’a pas empêché de se montrer expressif. Témoin son « Nessun dorma » -très attendu du public- chanté avec une grande tranquillité, sans chercher à se mettre en valeur. Il a été par contre assez abrupt dans ses dialogues avec Turandot ce qui a obligé Maria Guleghina à se mettre à son niveau d’intensité vocale. Ce faisant –elle n’avait pas le choix- elle a perdu totalement la flexibilité du phrasé, que ce fût dans son air principal « In questa Reggia » ou lors de son dialogue d’amour avec Calaf à la fin de l’oeuvre. In fine, les déclarations d’amour entre Calaf et Turandot ressemblaient davantage à un échange entre Nadal et Federer plutôt qu’à un dialogue entre amoureux, tant la force l’emportait sur la nuance.
L’intensité vocale des deux principaux protagonistes mise à part, Giuliano Carella a maîtrisé la fosse et la scène à tout moment. En vieux routier de l’opéra italien, il a donné de « Turandot » une lecture conforme à l’oeuvre sans tenir compte spécialement du travail musical réalisé par Bertrand de Billy en 1999 afin de rendre plus plausible le duo final.
Comment interpréter les applaudissements du public ?
Le nombreux public qui remplissait la salle a applaudi chaque artiste avec un enthousiasme exagéré, comme pour donner aux responsables de la programmation du théâtre –cette production était « hors abonnement »- une piste de ses préférences à ne pas oublier dans le futur. Et tant pis pour l’opéra contemporain et pour les mises en scène qui éloignent la pièce du spectateur !
« Turandot » « Dramma lirico » en trois actes, livret de G. Adami et R. Simoni fondé sur la fable de Carlo Gozzi. Production du Gran Teatre del Liceu de Barcelone. Mise en scène de Núria Espert. Décors de Ezio Frigerio. Direction musicale de Giuliano Carella. Chanteurs : Maria Guleghina, Marco Berti, Ainhoa Arteta, Stefano Palatchi et autres. Gran Teatre del Liceu les 21, 22, 24, 25, 27, 28, 29, 30 et 31 juillet 2009.