Tchaïka de Belova et Iacobelli

Au plus profond de l’art du théâtre

Tchaïka de Belova et Iacobelli

Une mise en abyme vertigineuse de ce qu’est l’essence même de l’art dramatique, associée à une démonstration de dédoublement de la personnalité et à une observation des ravages de la vieillesse sur l’esprit et le corps.

Ce n’est pas la première fois qu’est monté avec brio un spectacle de marionnettes hyperréalistes à taille humaine. « Silence » est un exemple qui a marqué. « Tchaïka  » lui succède avec une puissance dramatique particulière car elle s’applique à la quintessence même de l’art théâtral. En L’apparence, tout est simple. En réalité, chaque détail est chargé de sens.

En scène, outre quelques éléments de décor, il n’y a que deux personnes : une comédienne jeune et une marionnette âgée. L’une et l’autre sont aussi personnages car chacune affiche sa personnalité dans l’évolution de l’histoire racontée. La trame de départ est limpide : une actrice vieillie va jouer une ultime fois le rôle principal de « La Mouette  » de Tchekhov. Sa mémoire est amoindrie. Son corps a perdu sa souplesse. Elle se sent perdue, perplexe, vulnérable. Elle est accompagnée par une jeune femme : son habilleuse maquilleuse, sa metteuse en scène, son double juvénile.

Ce duo fusionnel, paradoxal permet une série de variations sur l’essence et le rôle du théâtre, sur la durée d’une existence, sur les rapports affectifs et hiérarchiques entre une mère et sa fille aussi bien qu’entre un acteur et son directeur de plateau, voire un artiste créateur et sa créature. Cette complexité de liens engendre une diversité prodigieuse de connexions entre Titia Iacobelli l’interprète et la marionnette de Natacha Belova.

Sans cesse, le spectateur est convié à des échanges qui confrontent la réalité vitale de la jeunesse et de la décrépitude, le concret d’un métier qui consiste à endosser des personnalités fictives en les transmettant à un public présent. Cela d’autant plus troublant que l’hyperréalisme de la marionnette suscite l’illusion de deux personnes charnelles vivantes en une équivoque permanente, que la comédienne manipulatrice utilise deux voix différenciées pour les paroles prononcées.

Chaque élément est signe à décoder, à savourer en sa richesse sémantique symbolique. La scénographie comporte un mobilier recouvert de housse ou de nappe comme dans ces habitations où des pièces ne sont plus utilisées. Le tissu qui pend des cintres a l’air d’un vestige abandonné. Une sorte de monde en train de disparaître.

Une fascination particulière se construit. Elle culmine à plusieurs moments. Le plus saisissant étant sans doute celui où la vedette décatie tente de se maquiller et n’y arrive pas à cause d’un tremblement parkinsonien mais, s’emparant du visage de sa jeune accompagnatrice, y parvient avec l’aisance de sa vigueur antérieure. Cette ellipse résume une destinée télescopant deux périodes d’une même existence ; elle condense le transfert du réel et du virtuel dans le travail des interprètes au théâtre.

Tita Iacobelli réussit avec maestria à donner corporellement vie à une personne physiquement et mentalement diminuée tout en conservant en alternance le comportement d’une personne en pleine possession de ses moyens. S’il y avait un bémol à émettre, c’est que son accent altère parfois certains mots. Mais c’est sans importance face à tout le reste qui justifie que ce spectacle a reçu les prix du meilleur spectacle, de la meilleure actrice et celui du public pour la mise en scène en 2018 au Chili.

26 avril 2023 : Maison Culturelle d’Ath (Belgique)
28 avril : Teatro di Pergine (Italie)
16 mai : Théâtre Pannon Várszínház, Veszprém (Hongrie)
23 mai : TESZT Festival, Timisoara (Roumanie)
25-26 mai : NuQ Treff Festival, Tallinn (Estonie)
2-3 juin : Festival Perspectives, Saarbrücken (Allemagne)
4-19 octobre : Théâtre CorpArtes, Santiago (Chili)

Durée : 1h
Mise en scène : Natacha Belova, Tita Iacobelli
Regard extérieur : Nicole Mossoux
Scénographie : Natacha Belova
Interprétation : Tita lacobelli
Assistanat à la mise en scène : Edurne Rankin
Assistanat à la dramaturgie : Rodrigo Gijón
Assistanat à la scénographie : Gabriela González
Création lumière : Gabriela González, Christian Halkin
Réalisation des décors : Guy Carbonnelle, Aurélie Borremans
Création sonore : Gonzalo Aylwin, Simón González
Musique : Simón González d’après la chanson "La Pobre Gaviota" de Rafael Hernández
Régie lumière, effets : Franco Peñaloza
Production Javier Chávez , IFO Asbl
Teaser : Simon Breeveld
Photo : Estelle Valente
Graphisme : Augusto Gómez
Production : Ifo Asbl.
Soutien : Fondo Nacional para la Cultura y las Artes - Chili, Fédération Wallonie Bruxelles-arts de la scène - service interdisciplinaire
Co-production : Mars - Mons arts de la scène, Théâtre des Martyrs à Bruxelles, Atelier Jean Vilar à Louvain-La-Neuve.
Prix du Meilleur spectacle et de la Meilleure actrice 2018 au Chili (Círculo de Críticos de Arte de Chile) et le prix du public pour la Meilleure mise en scène au Chili (Premios Clap).

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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