Critiques – Opéra & Classique

Rigoletto de Giuseppe Verdi

Excellence de l’orchestre, belles voix, mise en scène abstraite

Rigoletto de Giuseppe Verdi

Tout livret d’opéra ancré à un endroit précis ou à un fait historique daté, rend difficile sa transposition vers un autre lieu ou une autre époque. Le texte, sinon la musique, souffriront d’une perte significative de substance. Ainsi, on aura du mal à représenter « Tosca » à une époque éloignée de 1800, ou « Die tote Stadt » ailleurs qu’à Bruges, par exemple. En revanche, il est toujours possible de mettre en scène une histoire en traduisant en gestes, formes et couleurs, ses éléments intimes, essentiels, tout en laissant de côté des éléments secondaires, accidentels, souvent les plus visibles dans le récit original.

Pour cette coproduction du Real de Madrid et du Liceu de Barcelona, Monique Wagemakers a proposé une vision tout simplement « abstraite » de l’opéra de Giuseppe Verdi, tout en respectant fidèlement le livret de Francesco Maria Piave. Malgré l’audace de cette mise en scène - toute relative par les temps qui courent -, le public du Liceu, plutôt conservateur et très bon connaisseur de la pièce, a accepté et même applaudi longuement le travail de la directrice de scène.

Une mise en scène quasi classique.

En réalité, le travail d’abstraction s’est porté surtout sur la scénographie et l’habillement. La mise en scène laisse en revanche toute latitude aux chanteurs sur la gestuelle dramatique. Une seule exigence : l’attitude violente de Rigoletto vis-à-vis de Gilda sa fille. Le nain bossu, est seulement vexé dans son honneur de père. Il est en revanche indifférent au sort physique et psychologique de sa fille. Il se fâche même contre elle, l’accusant implicitement de s’être laissé faire. Son attitude serait inattendue aujourd’hui, elle est plus explicable à l’époque. Dans l’idée de Monique Wagemakers le bouffon n’est pas le père tendre et paternel que présente le programme du Liceu.

La scénographie de Michael Levine, très simple – un plan inclinable, un mur autour, un escalier qui monte au ciel et descend jusqu’à l’enfer- fournissent de multiples possibilités dramatiques qui ont été bien utilisées par la mise en scène : Sparafucile et Rigoletto se parlent à deux niveaux du décor, le spadassin en bas, le père en haut. Portée par son amour, Gilda chante « Caro nome » assise sur l’escalier infini. L’auberge des frères brigands se trouve sous le plan incliné, toit protecteur et fragile. Le palais du Duc est représenté par ce même plan rectangulaire posé horizontalement sur scène. Les courtisans se tenant aux bords du rectangle, donnent une sensation de rejet très fort de Rigoletto resté seul au milieu de la pièce. Ajoutons que l’éclairage, bien conçu au demeurant, plonge l’histoire dans un monde sans contrastes, monotone, presque ennuyeux : la principale cause des attitudes malsaines des courtisans n’est autre que l’ennui.

Les costumes illustrent des facettes importantes de l’histoire : Rigoletto, est habillé comme les autres courtisans - parce que, à force de le voir tous les jours, ils ne remarquent plus sa bosse ni sa démarche hésitante. -seul le Duc s’habille différemment. Gilda s’habille en blanc au début, en noir à la fin, Sparafucile opte pour la couleur acier de son épée. La robe échancrée de Maddalena lui permet de montrer facilement ses jambes : son gagne-pain.

Carlos Álvarez, Rigoletto impeccable en tête d’une distribution de très bon niveau.

Le baryton Carlos Álvarez a tout donné : force, rigueur, assurance, endurance aussi, expression,…La liste d’éloges pourrait s’allonger encore. Un seul obstacle à la perfection : la couleur de sa voix, n’a pas rendu totalement compte des situations contrastées que traverse son personnage. Cela a produit un léger sentiment de fatigue. A ses côtés Javier Camarena –très attendu - s’est montré vaillant et antipathique, fat, comme il fallait. Son timbre est agréable, son émission puissante, son phrasé lyrique et bien mené. Il a beaucoup mieux réussi son air « La dona é mobile… », chanté presque froidement, que son autre tube « Questa o quella… », où il a fini péniblement quelques phrases pour avoir abusé du pathos. Désirée Rancatore –Gilda- n’a pas été au mieux de sa forme. Elle possède une voix lumineuse, mais son émission étroite ne lui a pas permis de bien caractériser le personnage. Elle est totalement passée à côté du premier acte –y compris son « Caro nome » n’a pas été à la hauteur-, cherchant ses aigus (qu’elle a toujours fini par trouver), hésitant dangereusement lors des passages de colorature, chantant avec un vibrato dérangeant. Elle s’est rattrapée lors du dialogue avec son père au deuxième acte. Ante Jerkunica, élégant, au timbre masculin, à l’émission fluide, a donné un excellent Sparafucile, alors que Ketevan Kemoklidze a interprété une Maddalena sans relief. Du coup, le célèbre quatuor du dernier acte a été un peu trop dominé par les voix masculines.

Bonne performance de l’orchestre et des chœurs

Riccardo Frizza a dirigé l’orchestre du Liceu en main de maître. Il s’est montré très exigeant avec ses musiciens et a respecté le travail des chanteurs, veillant toujours à moduler le volume de l’orchestre en fonction de la situation dramatique du moment. Le chœur, très bien préparé par Conxita Garcia, a donné une interprétation mémorable. Contxita Garcia, justifie ici, une nouvelle fois, sa place dans l’institution en remplacement de José Luis Basso, parti diriger les chœurs de l’Opéra National de Paris.

Rigoletto, mélodrame en trois actes de Giuseppe Verdi. Livret de Francesco Maria Piave. Production Gran Teatre del Liceu et Teatro Real de Madrid. Mise en scène de Monique Wagemakers. Décors de Michael Levine. Direction musicale de Riccardo Frizza. Chanteurs : Javier Camarena, Carlos Álvarez, Désirée Rancatoore, Ante Jerkunica, Ketevan Kemoklidze, Gemma Coma-Alabert, Gianfranco Montresor, Toni Marsol, Josep Fadó, Xavier Mendoza, Mercedes Gancedo, Yordanka León.

Gran Teatre del Liceu les 21, 24, 26, et 29 mars et 1, 3 et 6 avril (avec cette distribution)
http://www.liceubarcelona.com exploitation@liceubarcelona.cat
Téléphone 902 53 33 53 +34 93 274 64 11 (International)
Note : 3
Photos Antoni Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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