Rameau, quel souffle !

On éprouve toujours un plaisir sans partage à entendre Les Boréades, que vient de mettre à l’affiche le Théâtre des Champs-Élysées, même quand l’orchestre invité éprouve de la peine à trouver son assise.

Rameau, quel souffle !

ON CITE SOUVENT VERDI, ET À JUSTE TITRE, pour célébrer la verdeur d’un compositeur de quatre-vingts ans capable de composer une partition marquant l’aboutissement d’une prodigieuse vie créatrice. Mais il ne faut pas oublier Jean-Philippe Rameau, né en 1683, mort en 1764, qui termina sa carrière avec l’une des musiques les plus belles qu’il ait conçues : celle des Boréades, tragédie lyrique composée sur un livret attribué à Louis de Cahusac. L’intrigue, qui cache un hymne à la liberté politique et individuelle (« Le bien suprême, c’est la liberté », affirme l’acte II) et propose un épisode qu’on peut qualifier de maçonnique, est a priori on ne peut plus simple : pour rester reine de Bactriane, Alphise est sommée de choisir entre Calisis et Borilée, les deux enfants de Borée. Or, par amour pour Abaris, elle est prête à renoncer au pouvoir et à accepter tous les supplices. Au bout de diverses catastrophes, on apprend qu’Abaris est fils d’Apollon, ce qui résout in fine toutes les difficultés : Alphise épousera Abaris.

Il y a dans la partition de Rameau une invention perpétuelle, un jeu affolant sur les rythmes et les sonorités qui transcendent le livret et, outre de majestueux récitatifs et des airs fort inspirés, font entendre une suite d’airs de ballet plus imprévus les uns que les autres. (John Eliot Gardiner va jusqu’à comparer le prélude du dernier acte avec la musique de Webern !) Rameau se croit tout permis, et il a raison, il donne libre cours à sa fantaisie, fait sonner les bois et les percussions dans un dialogue on ne peut plus lumineux avec les cordes et les voix, et nous rappelle tout ce qui sépare sa conception de l’opéra (renouvelée d’ouvrage en ouvrage depuis Hippolyte et Aricie) de celle d’un Haendel, son contemporain, champion de l’opéra seria.

Deux voix salvatrices

Malheureusement, l’Orfeo Orchestra, au Théâtre des Champs-Élysées, ne se fait pas l’interprète idéal de cette musique. Les cors défaillants du début, les hautbois peu assurés, la mollesse des attaques nous font entendre un Rameau sans couleur, malgré la présence de quatre flûtes. À la tête d’une formation qui semble découvrir la partition et en chercher le ressort, György Vashegyi enchaîne les airs de danse sans souci de fluidité, et nous offre des tempêtes bien timides. Les choses s’arrangent peu à peu, heureusement, et à partir du quatrième acte les musiciens trouvent leurs repères : on aime l’épisode instrumental qui précède le « Commandez aux tendres zéphyrs » de Polymnie. Le Purcell Choir, lui, est tout à son affaire, énergique, homogène, allant, et cache bien des timidités de l’orchestre au cours des premiers actes.

Côté solistes, on ne s’étonne pas de la chaleur de Tassis Christoyannis, qui chante les deux rôles brefs d’Adamas et d’Apollon, ni de l’autorité de Thomas Dollé en Borée, qui n’intervient qu’au dernier acte. Benedikt Kristjánsson (Calisis) et Philippe Estèphe (Borilée) forment un duo un peu déséquilibré, le timbre extatique du premier contrastant avec la morgue du second. Gwendoline Blondeel a quelques aigus criés, au premier acte, dans le rôle de Sémire, mais s’épanouit pleinement en Polymnie. Restent les deux rôles principaux : Sabine Devieilhe d’abord, Alphise souveraine, mais que n’aide pas l’orchestre. Elle aborde « Un horizon serein » (qui est bien plus qu’une ariette !) avec une variété d’accents subtils et stupéfiants à la fois (les mêmes paroles étant ici reprises et reprises, sur une ligne de chant pourvue à chaque fois de petites différences), et nous offre de superbes duos avec Abaris. Celui-ci, c’est Reinoud van Mechelen, dont on ne finit pas de goûter la voix d’une douceur confondante, l’intensité de l’expression, la violence à laquelle il peut atteindre sans jamais crier ni détimbrer. Son seul acte IV (« Tout cède aux efforts de l’orage », vraiment poignant, jusqu’à un « Je vole, Amour », d’une juvénile ardeur) suffirait à susciter l’enthousiame.

Deux chanteurs toutefois ne rachètent pas entièrement une soirée où l’on guette ces vents déchaînés qui prennent un peu trop leur temps avant de libérer leur puissance.

Illustration : en Grèce, Borée est devenu un timbre (dr)

Rameau : Les Boréades. Sabine Devieilhe (Alphise), Reinoud van Mechelen (Abaris), Thomas Dollé (Borée), Tassis Christoyannis (Adamas, Apollon), Benedikt Kristjánsson (Calisis), Philippe Estèphe (Borilée), Gwendoline Blondeel (Sémire, Une nymphe, L’Amour, Polymnie). Purcell Choir, Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi. Théâtre des Champs-Élysées, 23 septembre 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook