Que crèvent les protagonistes de Gabriel Calderon
Vivants et morts à la table de Noël

Le regretté Adel Hakim, qui dirigeait avec Elisabeth Chailloux le Centre dramatique national d’Ivry, nous avait révélé qu’il existait un auteur dramatique du nom de Calderon qui n’était pas le fameux dramaturge du Siècle d’or espagnol. Gabriel Calderon est, lui, notre contemporain. Il est uruguayen et a 37 ans. Il n’écrit ni comme l’auteur lointain de La vie est un songe, ni comme ses confrères européens. Il aime les débats nerveux, aussi charnels que théoriques, un peu comme le théâtre pirandellien et post-pirandellien les pratiquaient. Dans Que crèvent les protagonistes, texte traduit subtilement par Françoise Thanas ; avec lequel la comédienne Sandrine Attard fait sa première mise en scène, la circulation entre les morts et les vivants est continue ! Nous sommes un soir de Noël. Un jeune homme, pour répondre aux attentes de sa fiancée, a invité des parents qu’on peut joindre au téléphone et des défunts qui, évidemment, sont plus difficiles à joindre. Comme il a créé une machine à remonter dans le temps, il peut aller les chercher à la période où ils étaient en vie. A intervalles réguliers, tel père, telle mère, tel oncle arrivent de l’au-delà, bien vivants. Et l’on a bien des choses à se dire dans un pays qui n’a pas effacé tous les souvenirs de la dictature et dans une parentèle où on a le sang chaud. Les disparus n’ont pas les mains propres, l’un a favorisé la torture et ainsi de suite. La confrontation ne durera que le temps de la fête de la Nativité. En fin de soirée, les revenants repartiront là d’où ils sont venus…
Une table pour le repas à droite, un coin salon à gauche : on peut se faire face à l’écart et en duo, ou dans l’imbrication turbulente de la famille. La mise en scène a le sens du silence, de la conversation tranquille, du ton qui monte et de de l’explosion, tout à la fois. Tous les acteurs vont d’un sentiment à un autre : Marion Malenfant et Florence Muller, très fines dans l’ambigu registre urbain, Aymeric Lecerf, Maël Besnard, Paul Emile Pêtre, intenses dans la mise à feu des humeurs, Grégoire Oestermann, maintenant la douceur dans un contexte de fureur, et Elisabeth Tamaris, secrète, enveloppée de mystère. Les comédiens et la mise en scène de Sandrine Attard se placent dans un au-delà du réalisme, très séduisant, le ton étant donné dès le début par un fort beau monologue sur le bonheur et la malheur, joué dans un détachement amusé et troublant. Le bonheur que procure ce spectacle est d’une nature agréablement insolite.
Que crèvent les protagonistes de Gabriel Calderon, traduction de Françoise Thanas (éditions Théâtrales), mise en scène de Sandrine Attard, collaboration artistique de Gaëlle Fernandez Bravo, scénographie et costumes de Frédéric Rebuffat, lumière d’Olivier Oudiou, son de Vincent Dupuy, avec Maël Besnard, Aymeric Lecerf, Marion Malenfant, Florence Muller, Grégoire Oestermann, Paul Emile Pêtre, Elisabeth Tamaris.
Théâtre 13/ Seine, 30 rue du Chevaleret, 75013 Paris, tél. : 01 45 88 62 22, 20 h, jusqu’au 24 novembre. (Durée : 1 h 40).
Photo Alain Richard.