Phryné sans frein
Si l’on peut comparer l’œuvre entier de Saint-Saëns à un carnaval des animaux, Phryné en est le merle moqueur.
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- 13 juin 2022
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- Opéra & Classique
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L’ANNÉE CÉSAR FRANCK (1822-1890) A SUCCÉDÉ à l’année Saint-Saëns (1835-1921) mais il n’est pas interdit de savourer encore des œuvres méconnues de l’auteur de Samson et Dalila. Surtout s’il s’agit d’une partition délicieuse comme peut l’être Phryné. En réalité, le Palazzetto Bru Zane a remis l’ouvrage à l’honneur il y a un an déjà, au Théâtre des arts de Rouen, où il a été enregistré*. Mais l’Opéra Comique (où a eu lieu la création de Phryné, le 24 mai 1893) a bien fait de le reprendre, un an plus tard, avec le même chef (Hervé Niquet) et une distribution en partie renouvelée, l’Orchestre national d’Île-de-France se substituant à l’Orchestre de l’Opéra de Rouen.
Ce bref opéra en deux actes constitue aussi une surprise : celle de surprendre un Saint-Saëns concis, vif, qui ne se prend pas au sérieux. Et qui ne ressemble en rien au vieillard barbu, revêche et pontifiant que nous livrent ses portraits peints et photographiés. L’histoire, que nous raconte le livret de Lucien Augé de Lassus, met en scène un magistrat, le chaste Dicéphile, tout heureux de se voir ériger une statue. Mais Dicéphile a un neveu fantasque, Nicias, toujours à court d’argent et amoureux de la belle Phryné. À la faveur d’une rencontre fortuite avec celle-ci, l’oncle sera confondu et finira par céder la moitié de sa fortune à Nicias.
Oui mais l’apport de Messager ?
Sur cette trame légère, Saint-Saëns a écrit une musique qui ne l’est pas moins, avec ses moment de lyrisme (l’air de Nicias « Ô ma Phryné »), ses instants de franche gaieté (le trio « Nicéphile est un fripon »), et même ses numéros très développés comme le magnifique air chanté par Phryné au second acte, qui conduit à un singulier trio à l’unisson. On oscille de l’opéra à l’opérette, avec un orchestre plus ductile, beaucoup moins ronflant que dans d’autres partitions de Saint-Saëns, mais il faut préciser que la version donnée ici est celle qui fut mise au point en 1909 avec des récitatifs d’André Messager venus remplacer les dialogues de la version originale. Dès lors, il est permis de se demander auquel des deux compositeurs revient d’abord le charme qui se dégage de l’ouvrage, certains passages, comme le tendre duo du début du second acte entre Nicias et Phryné, évoquant par bouffées les couplets du duo de l’escarpolette de Véronique.
Sur la scène de la salle Favart, c’est une distribution idéale qui est réunie : on retrouve Cyrille Dubois (annoncé souffrant mais suffisamment en forme pour être de nouveau Nicias) et Thomas Dollé (Dicéphile). C’est Anne-Catherine Gillet qui chante le rôle exigeant de Phryné en lieu et place de Florie Valiquette. Elle le fait avec une grande élégance et une voix de soprano lyrique très à l’aise dans l’aigu. On retrouve aussi Anaïs Constans, parfaite en Lampito, la complice de Phryné, cependant que Matthieu Lécroart et Camille Tresmontant succèdent à Patrick Bolleire et François Rougier dans les rôles du Héraut et de Cynalopex. Le Chœur du Concert spirituel est égal à lui-même et Hervé Niquet emmène l’ensemble avec la fougue réglée qui le caractérise.
* 1 livre-disque BZ 1 047.
Illustration : Anne-Catherine Gillet (photo S. Brion)
Camille Saint-Saëns : Phryné. Anne-Catherine Gillet (Phryné), Anaïs Constans (Lampito), Cyrille Dubois (Nicias), Thomas Dollé (Dicéphile), le Héraut (Matthieu Lécroart), Camille Tresmontant (Cynalopex) ; Chœur du Concert spirituel, Orchestre national d’Île-de-France, dir. Hervé Niquet. Opéra Comique, 11 juin 2022.