Mélisande cherche Pelléas

À Radio France, nous n’avons d’oreilles que pour une Mélisande radieuse et un orchestre lumineux.

Mélisande cherche Pelléas

COMME BIEN DES OPÉRAS, Pelléas et Mélisande met en scène un couple d’amoureux qu’un rival jaloux empêche de vivre en paix sa passion. À cette différence près que les voix de Pelléas (l’amoureux) et de Golaud (le jaloux) sont plus proches l’une de l’autre qu’il est de coutume. Golaud est un vrai baryton, mais la tessiture de Pelléas est telle que le rôle est confié à un ténor capable de voiler, voire d’assombrir son timbre, ou à baryton à la voix claire ; la catégorie du baryton martin correspond à ce type vocal, même si la personnalité de chaque artiste, évidemment, prévaut sur ces considérations générales. On sait aussi qu’un certain nombre de chanteurs qui ont interprété Pelléas sont par la suite devenus Golaud (François Le Roux, Stéphane Degout)… sans que l’inverse soit vrai.

À Radio France, où l’opéra de Debussy est donné deux fois en version de concert, la distribution a été en partie modifiée par rapport à celle qui était annoncée en début de saison. Luca Pisaroni, est remplacé dans le rôle de Golaud par Allen Boxer, qui a incarné le personnage il y a un an sur la scène de l’Opéra de Montpellier. On a sans doute gagné là sur le plan de la diction et du style : Allen Boxer, baryton sans excessive noirceur, est un Golaud élégant, fin musicien, à la diction très naturelle, mais qui se contente de chanter le rôle comme s’il abordait un cycle de mélodies. Il aborde la scène violente du quatrième acte avec le même souci de musique, ce qui est bien sûr louable mais insuffisant, et c’est l’orchestre qui a là le dernier mot.

Ben Bliss remplace pour sa part Stanislas de Barbeyrac. C’est sans doute le point noir de la soirée : timbre sans douceur, style approximatif, voilà un Pelléas caricatural, un peu comme une image surexposée là où on attendrait un dégradé de clairs-obscurs. C’est d’autant plus dommage qu’Antoinette Dennefeld est une Mélisande rayonnante, plus généreuse dans le lyrisme que bien des Mélisande jouant à la victime souffreteuse. On aime cet aplomb, cette voix pleine et légère, à la fois, de mezzo. Difficile, à l’entendre, d’affirmer que Pelléas est un opéra où on ne chante pas !

La candeur et la soie

Le reste de la distribution ne convainc qu’en partie : Alastair Miles est bien fatigué en Arkel (même si le personnage est celui d’un roi en fin de partie), Nadine Weissmann lit la lettre de Golaud avec indifférence, d’une voix sombre dont elle pourrait tirer tout autre chose, mais le Médecin de Patrick Bolleire est parfait d’autorité, au point qu’on regrette que le rôle d’Arkel ne lui ait pas été confié. Enfin, Yniold est confié à Joachim Semezies, membre de la Maîtrise de Radio France ; il est toujours touchant d’entendre un enfant dans ce rôle déchiré, qui produit un effet d’étrange candeur dans le mystère des secrets de famille et l’ombre du château.

L’intérêt de pareille version de concert, évidemment, est qu’elle permet de se concentrer sur la musique, en particulier sur l’orchestre. On ne s’étonnera pas que l’Orchestre national de France soit ici à la fête*, même si on regrette que Susanna Mälkki ait installé côte à côte les violons I et les violons II. Mais toutes les cordes sont d’une soyeuse délicatesse, les pizzicati des contrebasses (détail qui n’en est pas un !) épousent mille nuances (d’attaque, de volume), tous les bois chantent, avec une mention particulière pour le cor anglais, d’un son plein et d’une présence chaleureuse dans la lumière toujours changeante du paysage instrumental. Et les cors répondent aux autres cuivres dans un jeu d’espace qui bénéficie de l’acoustique très favorable de l’auditorium de Radio France. Susanna Mälkki dirige un peu comme chante Antoinette Dennefeld : elle joue la carte du lyrisme, qu’elle mêle à un souci de l’intention exacte. Le propos n’est jamais morcelé, l’orchestre chatoie, et le résultat est magnifique de relief, même si certains chanteurs sont ici et là couverts, Allen Boxer en particulier – mais on a dit qu’il n’entrait pas dans la dimension théâtrale de Pelléas.

Illustration : Susanna Mälkki (photo Simon Fowler)

* On se souvient de l’enregistrement qu’il a laissé en 2000, sous la direction de Bernard Haitink, gravé sur le vif à l’occasion d’un concert donné au Théâtre des Champs-Élysées (Naïve), puis de son retour en 2007 dans la même œuvre et dans le même lieu, cette fois avec une mise en scène (de Jean-Louis Martinoty). Désiré Inghelbrecht a laissé aussi plusieurs versions de Pelléas avec le National, dont une, captée en 1955, qu’il est possible d’écouter sur le site de l’Ina.

Debussy : Pelléas et Mélisande. Avec Antoinette Dennefeld (Mélisande), Ben Bliss (Pelléas), Allen Boxer (Golaud), Alastair Miles (Arkel), Nadine Weissmann (Geneviève), Patrick Bolleire (le Berger/le Médecin), Joachim Semezies (Yniold), Clémentine Bourgoin, Anne-Lou Bissières, Joël Roessel, Jérôme Savelon, Aurélien Pernay (le chœur des marins). Orchestre national de France, dir. Susanna Mällki. Auditorium de Radio France, 3 mars 2023 (ce concert est repris le 5 mars).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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