Voyages en spirale dans l’atelier du lied
Marlis Petersen déploie ses quatre mondes à la Cité de la musique.
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- 20 juin 2023
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- Opéra & Classique
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INTERPRÈTE CÉLÉBRÉE À TRAVERS LE MONDE ENTIER pour les rôles de Lulu, Salomé, la Maréchale (Le Chevalier à la rose), parmi bien d’autres, la soprano Marlis Petersen est également une artiste accomplie dans le répertoire du lied. Avec sa trilogie intitulée Dimensionen, publiée à partir de 2017 sous le label Solo Musica, et qui comprenait les albums Welt (Monde), Anderswelt (Autre monde) et Innenwelt (Monde intérieur), à quoi elle ajouta ultérieurement Neue Welt (Nouveau monde), la soprano allemande présentait plusieurs assemblages de lieder en compagnie de deux pianistes remarquables : Camillo Radicke et Stephan Matthias Lademann. C’est ce dernier qui l’accompagnait le 14 juin dernier pour un récital intitulé « Dimensions de l’être humain. Quatre mondes », au cours duquel les deux artistes ont déployé un paysage musical somptueux, rythmé par de courts textes, de la plume de Goethe ou de celle de Marlis Petersen, dits par elle, pour éclairer le déroulement du programme et le choix des œuvres.
Une efficace dramaturgie
Les quatre parties de ce récital faisaient donc écho aux quatre CDs publiés à ce jour sur cette thématique. « Monde – l’homme et la nature, ici et maintenant » présentait des lieder de Schumann, Wagner, Schubert, Brahms et un inconnu (du moins en France) de très grand intérêt : Hans Sommer (1837-1922). « Monde intérieur – Atelier de l’âme, Mouvement interne » parcourait des pièces de Richard Strauss, Brahms, Wolf, Sommer, Reger (un lied d’allure expressionniste, spectaculaire et très inattendu sous la plume de ce compositeur) et un nouvel inconnu des amateurs français du lied : Karl Weigl. « L’autre monde – apparition, appel de là-bas » se composait d’un bouquet de chefs-d’œuvre méconnus, de la plume de Pfitzner, Hermann Reutter, Friedrich Gulda (le fameux pianiste, également compositeur), ou encore Herrmann Zumpe, ainsi que le Finlandais Yrjö Kilpinen. « Nouveau monde – connaissance et changement de voie vers quelque chose de nouveau » alternait encore des lieder bien connus (Wanderers Nachtlied) de Wolf, sur un poème de Goethe ou encore Liebst du um Schönheit, extrait des Rückert Lieder de Mahler, et des pièces beaucoup plus rares, véritables découvertes : Symbolum de Hans Sommer, ainsi que l’un des plus intéressants lieder de Hanns Eisler : Die Welt verändern wir (Nous changeons le monde).
Vaillance et générosité
Hors même le très grand intérêt des lieder choisis pour ce concert, au-delà des enjeux poétiques et idéologiques que les deux artistes avaient à cœur de développer (la présence au monde, la défense de l’environnement, la nécessité de transcender le réel tout en l’acceptant entièrement), ce qui a fait la force de cette soirée tenait de toute évidence à la présence de Marlis Petersen, soutenue par un piano d’exception, tout à la fois énigmatique, concentré et sobre – et surtout à son art du partage et de la transmission. Tenant ainsi « dans sa main » son public, de façon magistrale, par la force de conviction et l’intense poésie de son chant, l’artiste captivait également par son rayonnement et aussi l’entier engagement qui émanait de sa présence sur scène. Vocalement, tout cela se traduisait aussi par une prise de risque en tant qu’interprète : les chemins mélodiques de ces lieder, très ardus pour certains, ne sont pas des voies de tout repos : il y faut de la vaillance et de l’audace, tant la voix peut s’y trouver inconfortable ou à nu. L’auditoire ne s’y est pas trompé, qui lui a fait un triomphe, ainsi qu’à Stephan Matthias Lademann.
Photo : Yorgos Makropoulos
Marlis Petersen, soprano ; Stephan Matthias Lademann, piano. Lieder divers. Cité de la musique - Amphithéâtre, 14 juin 2023.