Critique – Opéra-Classique

Maria Stuarda de Gaetano Donizetti

Un grand retour à Barcelone

Maria Stuarda de Gaetano Donizetti

Pour fêter la nouvelle année le Liceu a proposé à ses aficionados, pas moins de 11 représentations de « Maria Stuarda » de Gaetano Donizetti. La pièce, créée à Naples en 1834, fut présentée à Barcelone en 1843. Elle ne réapparut qu’en 1969, à la demande expresse de Montserrat Caballé et obtint alors un succès retentissant. La diva catalane l’interpréta de nouveau au Liceu dix ans plus tard avec le même résultat. L’opéra fut donné de nouveau en 1992 (avec Richard Boninge, Daniella Dessi, Agnes Baltsa) et en 2007 en version de concert avec Edita Gruberova et Juan Diego Flórez.

En 150 ans Barcelone aura levé le rideau 17 fois sur l’œuvre de Gaetano Donizetti, sans doute la moins représentée de la trilogie du même auteur, dite « Tudor » car elle s’intéresse aux avatars de cette famille royal anglaise ; la trilogie comprend aussi, « Anna Bolena » (1830) et « Roberto Devereux » (1837). La programmation de la pièce aujourd’hui constitue un véritable événement que le public a salué par sa présence très nombreuse et par ses applaudissements enthousiastes et mérités.


Une mise en scène « made by Leiser et Caurier »

Barcelone a découvert les metteurs en scène avec « Hamlet » d’Ambroise Thomas en 2003 (avec Nathalie Dessay). On a ensuite vu à deux reprises leur mémorable « Madame Butterfly » en 2006 et en 2013 (voir WT des 21/06/2006 et 23/07/2013). Les metteurs en scène ont fait une très forte impression dans la capitale catalane, alors que le Liceu ne se soucie guère des mises en scène, sinon pour les détester lorsqu’elles sont trop modernes à son goût. La créativité de Leiser et Caurier ne cessant d’évoluer, ils ont marqué de nouveau très positivement le public de la Rambla, on pourrait dire « malgré leur modernité » : Elisabetta enlève sa perruque et montre un crâne rasé, les deux reines s’habillent à la mode du XVIème siècle alors que le reste des personnages adopte des vêtements actuels,...

Un décor exceptionnel

Mais ce sont les décors de l’excellent Christian Fenouillat - la prison de Forteringa en particulier - qui auront marqué les esprits. Les murs de la chambre d’exécution revêtus d’une sobre faïence blanche et les portes peintes en gris clair, ont donné au lieu une lueur blafarde d’une tristesse infinie ; les outils de la mise à mort (une hache et un tronc d’arbre) ont complété le tableau sinistre et le personnage du bourreau, brutal mais visiblement tourmenté à l’idée de devoir décapiter une reine, s’est révélé être une vraie trouvaille. Ce même décor a obligé le peuple et Leicester lui même à rester sur un côté de la scène, hors des lieux, pendant les préparatifs de l’exécution. L’impossibilité physique de contact entre les deux amants pour un dernier adieu ( un effet que Leiser et Caurier ont aussi utilisé pour le troisième acte de « Tosca »), a augmenté sensiblement la tension du moment final où la hache du bourreau tranche implacable le cou de la reine catholique.

Joyce DiDonato, reine de la soirée

A la suite de Daniella Dessi et d’Edita Gruberova, mais surtout de Montserrat Caballé, très présente dans l’esprit de nombreux assistants, Joyce DiDonato a été la reine écossaise, historiquement moins Sainte-Nitouche qu’il pourrait paraître dans l’opéra. La mezzo américaine, bien calée dans sa tessiture, a proposé un personnage plus dramatique que lyrique (avec le Leicester de service il n’y avait pas de quoi être bien lyrique), mais aussi, plus vériste que belcantiste, car son émission, sèche toujours et même dure par moments, ne se prêtait guère au legato spectaculaire. Ajoutons que l’artiste s’est un peu trop appuyé sur les temps lents, sans doute pour mieux marquer le contraste avec les phrases rapides de la fin des interventions. Le public l’a évidemment très applaudie car l’artiste s’est montrée courageuse et convaincante à tout moment, a négocié avec brio l’affrontement fatal avec sa cousine et rivale politique ( »Figlia impura di Bolena ! ») et a fait preuve d’une grande dignité et émotion lors de la longue scène précédant son exécution.

Face à elle le Liceu a retrouvé la mezzo valencienne Silvia Tro Santafé, qui avait déjà fait une belle carrière à l’étranger avant de débuter à Barcelone en 2003. Elle porte bien son nom (« Tro » en valencien signifie « tonnerre ») et donc elle a donné d’Élisabeth une version que l’on peut qualifier de virile, dramatiquement impeccable, vocalement juste, aux rythmes multiples toujours parfaitement ajustés, ciselés avec précision, et des volumes vocaux puissants certes, mais toujours justifiés par le texte et la situation dramatique.

Javier Camarena, le ténor mexicain, de sa voix élégante mais un peu juste pour le rôle, a eu la mission difficile, impossible en fait, d’établir la concorde entre ces deux monstres de scène. Il n’y est pas parvenu et donc, conformément au livret de l’opéra et -pour une fois- à l’histoire, la chose s’est mal terminée pour la reine de l’Écosse, qui avait aussi été, ne l’oublions pas, reine de France. Les reste de la distribution a fait son travail de la meilleure manière possible : Michele Pertusi a joué Talbot avec dignité et une belle diction italienne, Vito Priante aura été un Cecil incisif et AnnaTobella une dame de compagnie attentive aux malheurs de sa maîtresse.
Le chœur de la maison préparé par Peter Burian, s’est montré quelque peu indiscipliné lors de ses premières interventions mais il s’est largement rattrapé au dernier tableau, à la veille de l’exécution de Maria Stuarda.

Maurizio Benini dans la fosse a passé une bonne partie de la soirée à essayer, sans succès, d’accélérer le débit de l’américaine lors des passages lents, et surtout, et avec égal insuccès, à tâcher de ralentir celui de l’espagnole lors des passages rapides. Accessoirement, il a retenu, autant qu’il en a été capable, le volume de ses musiciens lorsque le ténor mexicain chantait en solo. Il a accompagné avec précision les reste des chanteurs, pendant les rares moments de tranquillité sans les principaux solistes. Maurizio Benini, discrètement, aura ainsi beaucoup contribué au beau succès de la nuit.

Maria Stuart, opéra en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Giuseppe Bardari. Coproduction du Gran Teatre del Liceu, Théâtre des Champs Elysées, Royal Opera House Covent Garden, Tetr Wielki Opera Narodova (Varsovie). Orchestre et chœur du Gran Teatre del Liceu. Direction Maurizio Benin, mise en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier, décors Christian Fenouillat, costumes Agostino Cavalca, lumières Christophe Forey. Avec (le 8 Janvier) : Silvia Tro Santafé, Joyce DiDonato, Javier Cam arena, Michele Petusi, Vito Priante, Anna Tobella.

Barcelone - Gran Teatre del Liceu les 19, 21, 23, 27, 29 et 30 décembre 2014 et 2, 3, 7, 8, 10 janvier 2015.
www.liceubarcelona.cat

Le 8 janvier 2015

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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