Les plaisirs de la baignoire
On peut aussi se mettre au parterre ou au balcon pour apprécier Les Bains macabres de Guillaume Connesson.
IL EST RÉJOUISSANT QU’UN COMPOSITEUR d’aujourd’hui ose écrire son premier opéra en abordant la forme dite « à numéros » à laquelle, à la suite de Wagner et de Pelléas, bien des musiciens ont préféré le récitatif continu et qui, pour toute une tendance de la musique du XXe siècle bannissant le plaisir et le chant, s’est érigée en interdit. Guillaume Connesson, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait fi de ces censures d’un autre âge et s’est donc lancé dans la composition d’un opéra (plus précisément d’un opéra-comique, puisque sa partition contient aussi des dialogues) pour solistes, chœurs et effectif orchestral assez nombreux (les bois par deux, le reste de l’effectif à l’avenant), le tout distribué en quatre actes.
Est-il toutefois allé au bout de sa démarche ? Qui dit opéra à numéros (airs, duos, ensembles, etc.), dit mélodie, car il faut que chaque numéro ait sa personnalité, son profil. Or il semble que Guillaume Connesson n’ait pas laissé libre cours à sa verve mélodique. De ce point de vue, les idées exposées au premier acte à la faveur de la succession des formes closes (loi du contraste, alternance du comique et du fantastique, etc.) peinent à se renouveler et on aurait aimé que les deux derniers actes soient un peu plus enlevés. On attendrait par exemple un duo plus enflammé entre Mathéo et Célia ou, à la fin, une chanson endiablée sur les mots « On m’appelait mademoiselle Terminus », mais la chanson tourne court. On aurait presque envie que Guillaume Connesson fasse siens et détourne les clichés du genre afin de donner plus de mordant à son propos.
Sentimental et farfelu, le livret d’Olivier Bleys est pourtant bien troussé, et permet que naisse une musique qui se souvient de l’opérette, de Satie, de Poulenc, etc. : dans un établissement baptisé Les Bains Terminus, de mystérieux assassinats ont lieu. Célia, qui s’occupe des curistes, est amoureuse de Mathéo, l’un des disparus, qui n’existe plus que sous la forme d’une ombre. Aristide, mort lui aussi, va donner l’occasion à Mathéo de redescendre chez les vivants… Ou comment il est toujours possible de réfléchir sur le mythe d’Orphée.
Les frivolités dans leurs éléments
Les chanteurs forment une équipe soudée, qu’on apprécie plus pour sa bonne humeur et son sens des situations que pour ses talents individuels. On citera en particulier Sandrine Buendia (Célia), Fabien Hyon (Nestor, le directeur de l’établissement de bains) et Nicolas Certenais (Aristide). Trois personnages de curistes, qui ouvrent le premier et le troisième acte, sont sous-employés, mais le chœur Les Éléments préparé par Joël Suhubiette, dont certains membres chantent un bref rôle soliste, est tout à fait à l’aise dans cette musique. Et l’orchestre des Frivolités parisiennes, commanditaire de l’ouvrage avec le Théâtre impérial de Compiègne, joue avec moins de frivolité que de rigueur sous la baguette d’Arie van Beek.
Florent Siaud utilise des clichés, mais n’en joue pas. Au contraire, on trouve dans sa mise en scène un certain nombre de lieux communs scéniques de notre temps, notamment les écrans figurant des paysages ou des visages en grand format, poncif des poncifs depuis le calamiteux Tristan lesté des vidéos de Bill Viola ; et le couple de policiers est croqué de manière trop sommaire. Sans surprise mais efficace, le spectacle colle à l’action et ne s’embarrasse pas de métaphysique (il y en a un peu dans le livret, mais elle ne pèse pas). Nous l’avons vu à l’Athénée, alors qu’au Théâtre impérial de Compiègne, où il a été créé, l’importance de la scène et de la fosse lui donnait sans doute une autre ampleur.
Illustration : curistes en chœur d’ombres irritées (photo Nicolas Descôteaux)
Guillaume Connesson : Les Bains macabres, opéra en 4 actes sur un livret d’Olivier Bleys. Avec Sandrine Buendia, Romain Dayez, Fabien Hyon, Anna Destraël, Geoffroy Buffière, Nicolas Certenais, Jérémie Brocard, Benjamin Mayenobe, Benoït-Joseph Meyer) ; chœur Les Éléments, orchestre Les Frivolités parisiennes, dir. Arie Van Beek. Mise en scène, Florent Siaud ; scénographie et costumes, Philippe Miesch ; Nicolas Descôteaux, lumières ; vidéo, Thomas Israël. Théâtre de l’Athénée, 6 février 2020.