Le grand air du large

Le Vaisseau fantôme, nouvelle étape du voyage au long cours des Siècles au Théâtre des Champs-Élysées, fait chanter les embruns.

Le grand air du large

APRÈS UNE SÉRIE DE REPRÉSENTATIONS à l’Opéra de Cologne, ville dont il est le generalmusikdirektor, puis une escale à l’Atelier lyrique de Tourcoing et une autre au Grand-Théâtre de Provence, François-Xavier Roth dirige au Théâtre des Champs-Élysées Der fliegende Holländer (« Le Vaisseau fantôme » pour les Français, moins au fait de la légende du Hollandais volant). À cette occasion, il fait venir de Cologne l’une des deux distributions ainsi que le chœur, mais c’est l’orchestre Les Siècles, avec lequel il est en résidence avenue Montaigne, qui est sur la scène.

Car il s’agit là d’une version de concert. On peut se désoler de ne pas voir la mise en scène de Benjamin Lazar, mais le fait que tout le monde chante sans partition et que, d’autre part, solistes et chœurs se déplacent à la faveur d’une mise en espace très bienvenue, est une manière de consolation. On sait par ailleurs que les travaux de l’Opéra de Cologne n’en finissent pas de commencer : depuis plusieurs saisons, les représentations lyriques ont lieu au Staatenhaus, de l’autre côté du Rhin, vaste local qui sert de foire et de palais d’expositions ; un lieu dépourvu de fosse qui oblige les interprètes à une somme de prouesses à l’occasion de chaque production. Ce qui explique aussi l’aisance avec laquelle les chanteurs évoluent sur l’avant-scène du Théâtre des Champs-Élysées, donc derrière le chef.

Faut-il revenir sur les qualités des Siècles ? Fidèle non pas à son habitude, ce qui serait réducteur, mais à ses choix, François-Xavier Roth a réuni pour l’occasion un ensemble d’instruments allemands du milieu du XIXe siècle, qu’il dirige avec un grand luxe de nuances. Le délié des cordes est incomparable, on goûte la sonorité fruitée du basson et du cor anglais même au sein des tutti. Berlioz aurait apprécié la démonstration de cet orchestre qui sait être puissant sans être jamais bruyant !

Où il n’est question que de chant

François-Xavier Roth a cette fois choisi la version de l’ouvrage jouée à Dresde en 1843 (qu’il dirige à Paris avec un entracte), laquelle apporte quelques modifications à la version composée par Wagner en 1841, pour laquelle il avait opté en 2015 puis en 2020 à Caen. Mais il a fait de nouveau confiance à Ingela Brimberg, qui faisait partie de l’équipe dès 2015. Et on ne peut que lui donner raison : la soprano suédoise est une Senta on ne peut plus vibrante, aussi hallucinée qu’on peut l’être lors d’une version de concert. Sa voix n’a rien de velouté, et c’est au contraire cette pointe d’acidité qui fait tout le charme douloureux du personnage. Tel Mary et ses fileuses, on est magnétisé par une ballade où chaque note a sa couleur et son poids de drame, où le cri ne se substitue jamais au chant.

James Rutherford n’a pas le plus beau timbre ni le tempérament le plus ténébreux du monde, mais il campe un Hollandais convaincant, tout comme le très solide Karl-Heinz Lehner, marmoréen Daland. Maximilian Schmitt était le Pilote de François-Xavier Roth à Caen ; il est cette fois Erik, rôle difficile car ce Don José nordique ne peut rien pour lutter contre la passion qui entraîne Senta vers un ailleurs, ni contre le pouvoir d’envoûtement du Hollandais. Il trouve cependant le style qui convient, notamment dans son dernier duo avec Senta où l’on entend tout ce que Wagner doit à l’opéra italien.

Une mention particulière pour le Chœur de l’Opéra de Cologne, d’une énergie, d’un ensemble sans faille. À l’avant-scène dans les scènes de liesse et d’épouvante du dernier acte, il fait réellement claquer les rires parmi les voiles noires, comme l’écrit le poète. Sur le pont de ce Vaisseau fantôme, le Théâtre des Champs-Élysées a réussi une traversée de haute mer.

Illustration : une des nombreuses tempêtes peintes par Joseph Vernet (musée Comtadin-Duplessis, dr)

Wagner : Der fliegende Holländer. Avec Ingela Brimberg (Senta), James Rutherford (le Hollandais), Karl-Heinz Lehner (Daland), Maximilian Schmitt (Erik), Dmitry Ivanchey (le Pilote), Dalia Schaechter (Mary). Chœur de l’Opéra de Cologne ; Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Théâtre des Champs-Élysées, 15 mai 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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