Le Tartuffe de Molière

Jeu de cubes avec le siècle classique

Le Tartuffe de Molière

Parmi les metteurs en scène qui refusent la mise en forme traditionnelle des classiques, tels Eugène Green (naguère) ou Benjamin Lazar, on ne cite pas assez Nicolas Hocquenghem qui cherche une autre voie, cherchant à renouveler la diction du texte et l’action scénique. Dans le cadre d’une tétralogie consacrée à Molière, il monte à présent Le Tartuffue (pas la version connue, mais ce qui pourrait être la première version, que Molière aurait écrite avant l’interdiction et les transformations qu’il a fait subir à son texte plus tard : en fait un montage conçu par Georges Forestier) en déclarant : « J’ai choisi de casser les codes tout en respectant la langue, en travaillant avec mes acteurs à une invention de la prononcer : un art de la diction en douze pieds où l’on respire l’alexandrin, avec des conventions fortes, des concepts scénographiques qui sont ma marque de fabrique (jeu frontal, scènes chorales), et surtout un spectaculaire engagement comique et poétique de chaque interprète. »
Dans un jeu de cubes blancs que la lumière électrique transforme et colore, les acteurs, vêtus comme au gymnase (il y a des baskets) ou dans des soirées mondaines de la moyenne bourgeoisie (il y a des tenue de soirée chatoyantes, du sous-Dior), disent le texte le plus souvent face au public. Ils font sonner la dernière syllabe, parfois trop, car ce n’est pas sans monotonie. Mais cette rigueur sait s’habiller de fantaisie, injecter tout à coup un geste touchant ou une drôlerie très clownesque. La musique percute par à-coups comme venue d’un orphéon. Ce peut être déroutant, mais c’est plein d’idées, comme celle, magnifique, de ne plus mettre Orgon sous la table, mais à l’avant-scène, séparé d’un rideau, suivant la scène à distance, mais près de nous, le visage à découvert, la souffrance à nu. Orgon (Nicolas Hocquenghem) est très bien interprété dans l’esprit des bouffons lunaires, Tartuffe (Didier Dicale) est, avec la même justesse, un échalas sportif plus dérisoire qu’horrifique. Il y a aussi beaucoup de précision dans le jeu d’Ingrid Bellut (Elmire), Isy Chautemps (Mme Personnelle), Christine Gagnepain (Dorine) et Pierre Pirol (Cléante). Karl Rachedi (Damis), lui, charge un peu trop du côté de l’imbécillité de la jeunesse, mais cela s’inscrit dans un parti pris provocateur où la majeure part des innovations sont séduisantes.

Le Tartuffe de Molière, version (1664) en trois actes, restituée par Georges Forestier et Isabelle Grelet, mise en scène de Nicolas Hocquenghem, musique de François Lemonnier , costumes d’Evelyne Guilin, lumières d’Hassen Sider, avec Ingrid Bellut, Isy Chautemps, Didier Dicale, Christine Gagnepain, Nicolas Hocquenghem, Pierre Pirol et Karl Rachedi.

Théâtre de Bligny (Essone), tél. : 06 79 60 26 19, www.theatre-de-bligny.fr, jusqu’au 26 juin. Puis reprise à Bligny, du 3 au 6 octobre, et au théâtre Antoine Vitez, Uvry, en février. (Durée : 1 h 30).

Photo David Merle.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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