Le Square de Marguerite Duras

Les vies minuscules

Le Square de Marguerite Duras

Le mot « mademoiselle » est aujourd’hui déconseillé dans le langage de la conversation et les écrits juridiques. On l’entend pourtant sans arrêt dans Le Square de Marguerite Duras, laquelle ne peut être soupçonnée d’avoir utilisé des formules contestables à l’égard des femmes. Mais nous sommes en 1965, en compagnie de gens dont Pierre Michon aurait pu qualifier les existences de « vies minuscules » et qui reproduisent le langage de l’époque. Dans un jardin public, une jeune femme et un homme un peu plus âgé se sont assis non loin l’un de l’autre. Ils sont là pour se détendre et, peu à peu, engagent une vraie discussion. Elle assure un travail de domesticité, en s’occupant d’un enfant chez des gens aisés. Lui est représentant de commerce. Ils parlent de tout et de rien. Ce pourrait être un théâtre du banal, du quotidien. Mais l’on est chez Duras. Ses personnages saisissent de l’inconnu au cœur même du connu. Ilq examinent leurs vies et leurs obsessions où se mêlent l’espoir et le désespoir... Elle rêve d’un homme qui la choisirait. Lui se limite aux obligations de son travail et refuse de penser au-delà. Le dialogue les rapproche mais il y aura toujours entre eux un mur invisible, qui est peut-être le mystère de l’échec, un interdit qui est déjà une sorte de « bête dans la jungle ».
Longtemps un peu négligée dans l’œuvre de Duras (alors qu’elle avait eu un grand retentissement quand elle fut créée), la pièce plaît à nouveau depuis quelques années – Didier Bezace la mit en scène et la joua avec Clotilde Mollet. Heureusement : le texte, avec ses mots simples, est étrange et passionnant. Bertrand Marcos, qui a dirigé Fanny Ardant dans Hiroshima mon amour et La Passion suspendue, dessine ici une très belle mise en scène, fondée sur le silence, les déplacements et un jeu à la fois doux et brisé. Mélanie Bernier se fond admirablement dans une personnalité apparemment éteinte et qui possède pourtant sa lumière. Dominique Pinon, qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, met à nu un trouble profond, une façon magnifique d’être en même temps ouvert et refermé, expansif et secret. Ce spectacle de deux solitudes qui se frôlent, s’attirent, se plaisent et échouent à dépasser leur malheur est d’une sensibilité merveilleusement éclairante. Un moment qui fait date dans l’interprétation des pièces de Marguerite Duras.

Le Square de Marguerite Duras, mise en scène de Bertrand Marcos, scénographie de Jean Haas, costumes de Marion Xardel, lumières de Patrick Clitus, son de Stéphanie Gibert, avec Mélanie Bernier, Dominique Pinon.

Lucernaire, 19 h, tél. : 01 45 44 57 34.

©Photo KarimC

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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