La mort de Saskia Cohen Tanugi

La jeune fille prodige des années 80

La mort de Saskia Cohen Tanugi

Elle avait fait une entrée pleine de bruit, de fureur et de rock en mettant en scène Le Marchand de Venise de Shakespeare au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, en 1983. Elle avait 24 ans, et l’on parlait beaucoup de cette jeune prodige, à la beauté étincelante, qui tenait une rubrique de musique anglaise dans Libération et affichait une fraternité avec le mouvement punk. Derrière elle, il y avait déjà beaucoup de choses : une enfance en Tunisie, des séjours en Russie et en Grande-Bretagne, un passage par l’armée française, une pleine formation au Conservatoire de Paris où elle avait mis en scène Nathalie Bécue dans Roméo et Juliette. Devant elle se profilait une carrière bouillonnante aux multiples aspects : actrice et metteur en scène de théâtre, actrice au cinéma (elle est James Bond girl dans Jamais plus jamais), auteure de théâtre, scénariste pour Bertolucci, Castano et Grandperret (Le Maître des éléphants), directrice de théâtre (elle a dirigé un moment le théâtre 13), professeur d’université, professeur d’art dramatique à l’école de Chaillot, chercheuse, traductrice…
Sa passion de l’hébreu et des textes juifs sacrés la transforme. Elle choisit, à partir de 1999, d’aller vivre, avec sa fille unique, en Israël et s’installe à Jérusalem. Là-bas, elle continue le théâtre, dirige des compagnies, écrit ses propres pièces (Judith Epstein, Lettres d’intifada…) et a une énorme activité universitaire. Elle devient l’une des principales traductrices du grand écrivain Joshua Sobol. A l’Université hébraïque, elle soutient sa thèse de doctorat sur Paroles performatives des reines bibliques dans les tragédies sacrées de Racine : une étude remarquable qu’il nous a été donné de lire.
Elle fait des allers retours en France, mais c’est sans doute dans cette dualité culturelle que le bât blesse. On l’oublie en France. En Israël, elle n’est pas toujours à l’aise dans un enseignement souvent dominé par l’orthodoxie. A Paris et dans les centres dramatiques de province, dans les facs françaises, elle frappe aux portes pour obtenir des échanges, des manifestations communes, pour publier ses propres textes qui sont abondants. Elle obtient très peu d’attention. La politique d’Israël a rendu le milieu culturel français très hostile à ce pays. Elle-même, très attachée à cette terre, disait y trouver un monde structuré sur des schémas militaires et fermé aux savoirs étrangers. Mais, quand on lit ses textes, elle est bien au-delà des cadres étroits. La plume est savante et vibrante, au service d’un grand souffle ivre d’amour. Saskia Cohen Tanugi est morte à Jérusalem, âgée de 61 ans, le 21 juillet. Malade ? Epuisée ? Quelle tragédie !Sa vie, passionnée, contradictoire, follement gaie puis follement triste, fut un roman. Un roman que les histoires du théâtre écriront peut-être un jour.

Ses principales mises en scène
1981 Roméo et Juliette, Shakespeare C.N.S.A.D. Paris
1983 Le Marchand de Venise, Shakespeare T. G. P 

1984 Le Dr, Dernier client du Ritz,
 Festival d’Avignon – Textes et mise en scène 

1986 Conjuration de Fiesque, Technique pour un coup d’État, Schiller-Riffaud (opéra) T. G. P.
1987 Bréviaire d’amour d’un haltérophile Arrabal Comédie-Française/Petit Théâtre de l’Odéon, Paris – Mise en scène 

1987 Le ciel s’est habillé en Scaramouche, Molière/Lully (opéra) Festival des comédiens, Montpellier – Adaptation et mise en scène
1987 Hommage aux jeunes hommes chics
 Théâtre du Lierre, Paris – Mise en scène et exposition
1987 Bastien, Bastienne, Le Directeur de théâtre, Mozart/Riffaud (orchestre) Théâtre du Ranelagh, Paris – Mise en scène 

1988 Bao 
Festival des arts du Pacifique, Nouméa, Townsville Australie 

1989 Prométhée enchaîné 
13e Art, XIIIe arrondissement de la ville de Paris – Adaptation et mise en scène 

1990 Le Banc, Gueldman
 Théâtre Studio des Champs-Élysées, Paris– Adaptation et mise en scène 

1991 Le Radeau de la Méduse, Speedy Graphito Galerie-Exposition – Mise en scène 

1992 Les Invités de Sem, Saskia Cohen Tanugi Théâtre de Sartrouville – Texte et mise en scène 

1997 L’Orage et la Prière, Ibn Gabirol
Théâtre de l’Île Saint Louis, Paris – Adaptation et mise en scène
1999 Mademoiselle Else, Arthur Schnitzler adaptation théâtrale Petit Théâtre de Paris – mise en scène Didier Long

Photo Rue du Conservatoire : Saskia Cohen Tanugi au Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

Voir la fiche complète de l'auteur

2 Messages

  • La mort de Saskia Cohen Tanugi 16 août 2020 12:11, par Hélène arie

    Magnifique hommage ! Merci à Gilles

    Costaz

    Répondre au message

  • La mort de Saskia Cohen Tanugi 29 janvier 2022 15:50, par Lucas DAMOUR

    Je découvre inopinément que Saskia, rencontrée à Nouméa en1988 , n’est plus de ce monde …avec des élèves du lycée Lapérouse elle nous avait dirigés dans L ‘ amant de Duras…outre le bonheur et la fierté d’avoir présenté cette pièce à la FOL ( je jouais le chinois enamouré ) je me souviens bien en amont de ce corollaire artistique que Saskia avait pleuré dans mes bras après que je l’ai rattrapée alors qu’elle venait de claquer la porte de la salle du lycée où elle était venue présenter son projet qui n’avait pas emballé outre mesure un proviseur tombé, lui, dans les oubliettes de l’histoire… m’élançant à sa poursuite je lui ai affirmé avec aplomb et sans doute conviction qu’on monterait cette pièce en faisant fi de l’assentiment de ce quidam insignifiant et elle m’avait alors serré contre elle sans pouvoir réprimer des larmes… Longtemps cette scène est restée prégnante dans mon petit panthéon mémoriel , me demandant ce que devenait Saskia qui nous parlait souvent de Jean Lepoullain et qui surtout nous a donné le goût de la scène … handicapé numérique assumé ce n’est qu’en ce samedi 29 janvier que j’ai tenté de taper son nom…. Je l’ étreins à mon tour par delà son effacement physique et présente à ses proches mes sincères condoléances. LucasDamour

    Répondre au message

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook