La mort de Roland Bertin

Un enfant et un géant

La mort de Roland Bertin

Un très grand acteur, Roland Bertin, s’en est allé, le 19 février de cette année. Quand le vieillissement l’avait contraint à quitter la scène, il s’était retiré en Bretagne et il y est mort, âgé de 93 ans (il était né à Paris, le 16 novembre 1930 à Paris). Là, ses amis de la Comédie-Française l’appelaient souvent et l’administrateur, Eric Ruf, Breton dont le port d’atache se situe non loin de là, lui rendait régulièrement visite. Ruf, d’ailleurs, a publié immédiatement un très bel hommage : « « Je viens d’apprendre le décès la nuit dernière de Roland Bertin, sociétaire et immense figure de notre Maison. Roland, notre Roland, celui dont nous avons tant aimé imiter les colères homériques et généreuses, la lippe si gourmande, le verbe si haut et l’exigence si radicale. Il s’est éteint doucement dans sa maison de retraite de Pont- l’Abbé en Bretagne, dans son sommeil. On m’a raconté que ses dernières paroles concernaient la poésie qui, seule, pouvait encore sauver le monde. Je me suis souvenu alors de cette phrase de Georges Schéhadé dans Monsieur Bob’le qu’interprétait Roland en 1994 au Théâtre du Vieux-Colombier : « tu m’inquiètes, tu m’inquiètes jeune fille, le feuillage est fou de toi ». Roland était un diseur, un mangeur de mot exceptionnel, d’un rapport gustatif et sensuel à la littérature. Un ogre outre mangeur et joyeux. Il n’y avait pas une discussion avec lui qui ne soit singulière et forte, empreinte de sa philosophie d’enfant morvandiou et de l’artiste en combat qu’il était. » En même le doyen de la troupe, Thierry Hancisse, a écrit pour sa part : "À chaque réveil, il vitupérait contre cette fichue mort qui l’avait encore oublié dans son sommeil. Plein de cette colère pure et sainte qui l’a toujours mené, plein de cette insatiable capacité d’indignation, toujours fraîche et généreuse, qui le mettait si loin de la petitesse des vies ».
L’immense carrière de Roland Bertin ne peut tenir dans les dimensions d’un article. Que de spectacles et de films à un rythme constant, mais toujours dans une sorte de méditation active, prolongée et gourmande ! C’est, au départ, un héritier, un militant de la décentralisation, puisqu’il crée avec Jacques Fornier le Théâtre de Bourgogne, en 1955. Vite repéré, il est demandé par les grands noms du théâtre en région, les Gignoux et Planchon, et les hautes figures du théâtre qui se fait à Paris et en région parisienne : il est l’un des grands interprètes des spectacles de Jorge Lavelli et Patrice Chéreau. Entré à la Comédie-Française en 1982, il tient de grands ou de modestes rôles avec cette sensibilité puissante et songeuse qui le définissait : Sganarelle dans Dom Juan, un extraordinaire Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme, l’évêque dans Le Balcon de Jean Genet… Il quitte le Français en 2002 mais, comme sociétaire honoraire, il saura y revenir dans quelques spectacles et, tout récemment, prenait part au film de Florence Viala, Entre Molière et nous. Il continue ensuite de jouer dans le secteur privé et le secteur public puis, fatigué, s’exile dans une solitude emplie d’amitiés et de dialogues avec les poètes de toute race littéraire.
A l’écran, il aura exercé une troublante fascination, notamment dans L’Homme blessé de Chéreau (1983).
Peu de temps après la mort de Robert Badinter, il convient de rappeler que Roland Bertin créa son première pièce C.3.3. où il incarnait, avec un sens rare de la tragédie intime, Oscar Wilde en prison, dans une mise en scène Jorge Lavelli, à la Colline, en 1995. Magnifique interprète des classiques, il avait la passion des écritures modernes, comme celles de Nathalie Sarraute, de Robert Pinget ou de José Pliya. Acteur royal dans les grandes salles, il avait la nostalgie des petits théâtres des années 50-70 où l’on créait sans prudence des textes nouveaux et des univers surprenants. Sur scène, il était à la fois le rire et la douleur, l’innocence et l’épaisseur de la vie, la force et la fragilité, la clarté et l’ambiguïté, l’émerveillement et la blessure. C’était un géant et un enfant. Ton son être avait la richesse feuilletée des immenses comédiens : il donnait à tout ce qu’il jouait des ricochets infinis. Son parler avait l’ampleur et la décrue d’une vague. Quand il sortait de scène, les sentiments et les mots qu’il avait lancés dans l’espace du théâtre et des cintres tournaient longtemps en vous.

Photo Alchetron, The Free Social Encyclopedy.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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