Debussy et Chopin par Dang Thai Son au Théâtre des Champs-Élysées le 8 janvier
La félicité, probablement
Debussy et Chopin sous les doigts de Dang Thai Son, c’est le scintillement sans afféterie et la violence sans contorsion.
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- 9 janvier
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DANG THAI SON REVIENT DE LOIN. En quelques mots, et sans insister sur le chemin semé d’avanies qui fut son lot : né à Hanoi en 1958, Dang Thai Son étudie le piano au Conservatoire de sa ville natale, alors entièrement délabré (nous sommes à la bascule d’une guerre sans fin et de l’installation de la dictature communiste au Vietnam). Il est invité à poursuivre ses études à Moscou grâce au pianiste Isaac Katz… mais à condition que ses parents divorcent, son père écrivant une poésie proscrite par les autorités en place. Obligé de travailler parallèlement dans une usine sidérurgique afin d’envoyer un peu d’argent à sa famille, il participe en 1980 au Concours Chopin de Varsovie – et là, sans que personne s’y attende, le voici qui remporte le Premier Prix et l’ensemble des prix spéciaux. Peu reconnu par la suite dans son pays, il se produit dans le monde entier tout en pratiquant l’enseignement, d’abord au Japon puis à Montréal, où il vit aujourd’hui.
C’est ce pianiste miraculé, qui se fait très rare en France, dont on a pu goûter l’art subtil au Théâtre des Champs-Élysées. Un art fait d’une extrême délicatesse, d’un dosage précis des nuances et d’un désir de chanter qui emporte l’auditeur, sans que le moindre effet extérieur ait sa part. Dès la Rêverie initiale, plus encore dans la première des Images (« Reflets dans l’eau »), on goûte l’irréalité du toucher de Dang Thai Son, qui permet de donner aux deux Arabesques un profil on ne peut plus ineffable. La violence rentrée de Masques n’a rien de mécanique, cependant que les cinq premières pièces de Children’s Corner ne se départissent pas d’une certaine mélancolie schumanienne. Le célèbre « Golliwog’s Cake-Walk » final n’est lui-même pas exempt d’une part d’inquiétude.
Les chants du crépuscule
Dans Chopin, le fait d’enchaîner deux nocturnes posthumes (en mi majeur et mi bémol majeur) et la tardive Barcarolle op. 60, fait de celle-ci un nocturne supplémentaire, miroitant et de vastes dimensions, mais gomme son côté « lugubre gondole » : c’est un Chopin sans noirceur que nous offre Dang Thai Son. Dans un pareil contexte, malgré tout, on aurait préféré entendre un choix de mazurkas plutôt que les cinq valses choisies par le pianiste vietnamien. Non pas qu’elles lui conviennent mal, loin de là, mais l’effet de doux et pénétrant crépuscule de cette seconde partie aurait été davantage souligné avec des pièces d’une sensibilité plus concentrée.
Cette rigueur sans simagrée, on la retrouve dans le sens de l’architecture dont fait preuve Dang Thai Son, qui réussit à donner toute sa force expressive au début du Deuxième Scherzo, tout aussi délicat à négocier que la coda de la Première Ballade : jouer avec les silences et les dynamiques de ce scherzo, leur donner du poids et de l’éloquence ne va pas de soi dans une pièce qu’on croit connaître mais qui retrouve ici toute sa puissance mais aussi toute sa souplesse*.
Un seul bis, et Dang Thai Son ferme le couvercle de son clavier. Dans le programme de salle, Michel Mollard cite un poème de Dang Dinh Tung, le père du pianiste, où figure le chiffre 8, et rappelle « qu’un 8 renversé constitue une paire de menottes ». Certes, mais le 8 renversé est aussi le symbole de l’infini.
Illustration : photo Isadora Vitti/dr
* On peut voir sur internet sa prestation dans le même Deuxième Scherzo lors du Concours Chopin 1980.
Debussy : Rêverie – Images (première série) – Deux arabesques – Masques - Children’s Corner. Chopin : Deux nocturnes – Barcarolle – Cinq valses – Scherzo n° 2. Dang Thai Son, piano. Théâtre des Champs-Élysées, 8 janvier 2025.