La Promesse de Samothrace de Paul Minthe
Un cancer dans l’oeil du cow-boy
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- 11 février 2020
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Vous ne connaissez pas Paul Minthe ? Si, vous le connaissez. Au théâtre, vous avez pu le voir dans des mises en scène de Jean-Louis Benoit, Didier Bezace ou Jean-Louis Martinelli, ou dans ses propres textes (K.O. Boy). Au cinéma, il est d’une personnalité si évidente au second plan que vous le placez au premier. Minthe, l’an dernier, avait disparu. Chômage ? Non, maladie. Maladie terrible, mortelle. Il le raconte dans un livre, La Promesse de Samothrace : « Je suis acteur. J’ai 60 ans, je mesure 1 mètre 60 et pèse 60 kilos. Soudain j’ai le cancer. Au milieu des yeux, un cancer rare, grave, agressif. Cancer des sinus ! Entre les yeux ? Est-ce le western qui me rattrape ? One shot between the eyes ».
Paul Minthe est un fou du western. Il a cette mythologie dans la peau. Pour en jouer, façon burlesque et façon admirative. Quand on a 1 mètre 60 et qu’on tient le revolver de John Wayne, il y a quelque chose qui cloche ou qui, au contraire, conte le vrai et le faux du cinéma et de nos existences. Minthe avait écrit et joué un monologue à forte jubilation sur ce thème, ce K.O. Boy très personnel qu’il peut reprendre à tout moment. Mais, l’an passé, l’adversaire, ce ne sont plus les Apaches. C’est la maladie. D’ailleurs, les Apaches, il les aime (« Le théâtre, c’est les Apaches, c’est la liberté : toutes les histoires sont vraies le temps de la représentation »).
Chimios, radiothérapies. On connaît la guerre des molécules contre le chancre. Cela assomme les hercules. Minthe décrit les blouses blanches et les chambres blafardes. Samothrace, c’est l’oncologue qui prescrit et dit où en sont le mal et la réplique au mal. Groggy comme un homme tabassé dans une série de guet-apens, Paul Minthe va gagner. Le crabe recule puis disparaît. L’acteur peut reprendre sa vie. Mais, lorsqu’il rentre chez lui, qui va penser à lui pour lui proposer un rôle ? N’est-il pas oublié ? Le téléphone sonne. Peter Stein voudrait le voir pour le rôle d’Acaste dans Le Misanthrope aux côtés de Jean-Pierre Malo et de Lambert Wilson. Minthe va au rendez-vous, il se trompe de théâtre mais arrive enfin à la salle où il était attendu. C’est bon. Il va jouer Acaste, il le joue toujours.
A leur lutte contre le cancer beaucoup de personnalités ont consacré un livre de témoignage. Paul Minthe s’inscrit dans ce répertoire au poids de souffrance humaine et de grande attention médicale. Mais c’est un baladin, un poète, un délirant. D’ailleurs, les traitements ont pu accentuer cette folie douce, ce besoin de dépasser la quotidienneté par des vies imaginaires, des perceptions insolites et un humour qu’en cow-boy des planches, on dégaine pour tuer la camarde. Ce qui emporte le livre, ce sont les envolées, des visions vraies et des visions imaginées par un écrivain inspiré : « Le ciel est bleu et le sable doré. L’Appaloosa est un mustang, il s’appelle Nnongooô. Au loin, sur une colline, une fumée de bienvenue. Les Indiens m’accueillent. Ma chemise est rouge, ils m’appellent Yah-Bé. Pourquoi pas ? La Seine a disparu. »
Un acteur qui sauve sa peau en scalpant le malheur, cela fait un beau livre.
La Promesse de Samothrace de Paul Minthe. Editions Les Lettres mouchetées, 142 pages, 14 euros.
Photo DR.