LUCERNAIRE BONJOUR ! DE CELINE ENA

• Publié par Gilles Costaz
• 9 juillet 2022
• Critiques
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• Théâtre
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Spectateurs qui courez dans les rues d’Avignon, d’Angers, de Montpellier, de Paris et d’ailleurs, méfiez-vous ! Vous croyez que toute l’attention se porte sur les acteurs et que vous êtes dans l’ombre. Mais on vous regarde, on vous détaille, on vous scrute, on vous épluche. Du moins, cela est vrai quand il y a une fine mouche à l’accueil. A Paris où le théâtre ne prend pas partout ses congés d’été, à la salle renommée du Lucernaire, il y a une jeune femme, Céline Ena, qui mérite aisément ce qualificatif réservé aux observatrices à l’œil aiguisé. Elle y exerce la fonction de responsable de billetterie, ce qui veut dire qu’elle répond journellement au téléphone pour les demandes de renseignements et de réservations, qu’elle se tient au guichet, discute avec les clients, prend les chèques et tend les billets, feint d’être calme quand tout s’accélère… La vie économique et informative du théâtre passe par elle.
Il se trouve que, derrière son élégance rétro (elle adore les bérêts, les cheveux noués en frises ou en macarons, les corsages vaporeux) et sa joliesse réservée, elle dissimule un sens de la comédie digne des meilleurs auteurs de sketches ou de scénarios. Elle en fait la preuve dans l’ouvrage Lucernaire bonjour. En fait, ce sont à travers des planches de bande dessinée qu’elle met en scène la tribu des fous de théâtre telle qu’elle la fréquente depuis plus de vingt ans au Lucernaire. Elle n’utilise pas seulement le langage de la B. D. car son livre-album alterne des pages avec bulles et des textes en pleine page. " Bonjour, vous auriez un spectacle où on se fend bien la gueule ? " interroge un jeune homme au visage triste comme un jour sans pain. Des retardataires déchaînés tentent de rentrer alors que la pièce a commencé, des parents veulent qu’on prenne en compte le génie de leurs enfants, des obstinés accumulent les pataquès quand il faut comprendre un titre ou retenir des horaires… Céline Ena a le crayon moqueur et le cœur indulgent. Son dessin croque les spectateurs lambda avec une étonnante justesse du trait, ses dialogues mettent dans le mille. Elle rit d’elle-même autant que de son " cher public ".
Il est rare qu’on nous présente le théâtre du côté des " résa " au bout du fil et de la file d’attente. Céline Ena a ce culot, avec du talent et une imparable drôlerie. Toute une face méconnue du théâtre est, là, pris au filet de la page et de la plume. Méfiez-vous de la douce jeune femme qui vous sourit à l’accueil…

Lucernaire bonjour de Céline Ena. L’Harmattan, 72 pages, 15 euros.

Photo Simon Bensa.