L’enfant sauvage de Céline Delbecq
L’homme bon
Sur une place publique, un enfant abandonné. Des badauds interloqués. Des cris insupportables. Que faire ? Un homme, touché, finit par prendre avec lui cet animal humain agressé par la vie.
Le fait divers est, hélas !, assez anodin dans de grandes métropoles. L’indifférence l’emporte. Sauf que, dans ce cas, un homme, désemparé, interpellé, accomplit ce que les autres ne font pas. Il emmène avec lui cet être blessé par la vie, chez lui, individu ordinaire, vivant seul, n’ayant jamais eu de paternité à assumer.
Maladroit et désemparé, il tente de créer des liens avec cet être qui ne parle pas, qui crie et hurle, qui ne semble pas appartenir à l’univers humain établi par la société. Il progresse vaille que vaille. Mais précisément, la société veille. Elle a établi des règles à respecter.
Cette mise en scène d’Hélène Pelletier, différente de celle de l’auteur lors de la création originelle, place un être humain sensible face à la réalité administrative. Elle convoque d’emblée le bon samaritain face à la réalité légale. Il est là, cité devant un tribunal, comme s’il avait été mis en accusation d’avoir voulu accomplir un acte de compassion en dehors d’un cadre légiféré, officiellement organisé.
Le décor comprend une barre de tribunal, là où les témoins viennent témoigner. Contre toute orthodoxie théâtrale traditionnelle, le comédien Serge Lacan va donc, en partie, jouer dos au public installé dans la salle. Il parle à d’invisibles magistrats muets. Tout son récit va, par conséquent, porter le poids d’une faute potentielle.
Lui, il raconte, en individu très simplement ordinaire qu’il est. Il énumère ses actes, ses doutes, ses hésitations, son questionnement. Il expose sa bonne volonté, sa quête de transmission de sentiments à échanger, son refus de juger, son obstination, sa solidarité dynamique. Aux interventions des services sociaux assujettis aux lois qui les légitiment, lui, assume avec conviction son besoin de susciter de l’amour, d’enrichir le ‘bestial’ par de la sensibilité.
Il vit à son niveau ce que ce festival d’Avignon 2023 a longuement exposé dans la cour d’honneur du palais des papes à travers l’adaptation réalisée par Julie Deliquet avec « Welfare » qui met sur le plateau des citoyens à statut précaire désemparés face aux contraintes bureaucratiques qui emberlificotent la pratique de l’aide sociale.
Avec une sincérité pudique, Serge Lacan incarne ce désarroi, cette bonté fondamentale qui devrait animer tout individu normal. Il traduit l’incompréhension, l’impuissance, la difficulté à communiquer l’essentiel entre les êtres. Il évite tout pathos superflu. Il pose la question d’une solidarité fondamentale à travers un texte de Céline Delbecq qui se centre sans cesse sur l’essentiel.
Durée : 1h05
Festival Avignon Off 2023
07>28 juillet 18 h Espace Alya Avignon
Jeu : Serge Lacan
Mise en scène : Hélène Pelletier
Texte : Céline Delbecq
Création Lumière : Hervé Chapelon
Production : Cie 1 2 3 Soleils (Mende)
Chargée de production : Cora-Lyne Oudart
Photo © DR
Lire : Céline Delbecq, « L’enfant sauvage », Carnières, Lansman, 2016, 36p (10€)