Critique – Opéra & Classique

Kàtia Kabànova de Leoš Janàcek

La priorité aux conventions théâtrales.

Kàtia Kabànova de Leoš Janàcek

Kàtia Kavànova, l’opéra que Leoš Janàček (1854-1928) composa en 1821, est tiré de la pièce de théâtre L’Orage (1859) du dramaturge russe Aleksandr Ostrovski (1823-1886). Dans cette Russie provinciale du XIXème siècle, aux mœurs figées, l’œuvre décrit la lutte interne d’une femme mal mariée, entre l’amour profond, et interdit, qu’elle porte à un homme autre que son mari et la culpabilité qu’elle ressent à cause de cette obsession incontrôlée. La tension entre ces deux sentiments contradictoires lui devient tellement insupportable, qu’elle finit par se suicider, en se jetant dans la Volga. C’est l’histoire de l’individu anéanti par la pression sociale : du romantisme à l’état pur.

Leoš Janàček, également auteur du livret, a veillé à conserver les conventions théâtrales originelles. Il a évité presque totalement les monologues, et il a accompagné les nombreux récitatifs de lignes musicales expressives, variées, harmoniques (ou non), toujours riches en couleurs. En évitant les arias il a facilité le travail du metteur en scène. En effet, il n’aura pas été difficile à David Alden de faire un travail en parfaite continuité avec l’histoire, sans que la tension dramatique ne retombe un seul instant.

Dans un décor signé Charles Edwards, aussi évocateur que stylisé -le lieu de l’action ne semblant pas intéresser démesurément le décorateur-, et des costumes de Jon Morrell qui donnent, tout au contraire, des informations affinées -physiques et mentales- sur chaque personnage, David Alden a demandé à ses artistes de minimiser leur jeu scénique. Ceci a grandement souligné la force des textes et a créé, presque mécaniquement, des effets dramatiques d’une grande efficacité. Deux séquences sont particulièrement réussies : la tension progressive créée par les aveux de son amour interdit pour Kàtia et le contraste entre les deux parties du dialogue final entre les amants.

L’orchestre du Liceu au sommet de ses performances

Josep Pons et l’orchestre de la maison, bien renforcé pour l’occasion, ayant beaucoup travaillé le sujet, ont servi à la perfection la musique du maître tchèque. Le chef a accompagné les multiples récitatifs d’accents musicaux, tantôt pour renforcer les dires des personnages ou alors, tout bonnement pour les contredire : si dans le théâtre parlé où seule la nuance expressive permet à un acteur de faire comprendre qu’il est en train de dire le contraire de ce qu’il pense, à l’opéra cette fonction est le plus souvent dévolue à la musique. Josep Pons a ainsi donné à chaque chanteur la possibilité de s’exprimer sans obstacle, réservant à la fosse la caractérisation des intentions réelles des uns et des autres.

Les chanteurs ont su relever le défi posé par la musique de Janàček, à commencer par Patricia Racette dans le rôle-titre. Il n’y a que des éloges à formuler pour son travail vocal et dramatique. Puissante et nuancée, musicalement juste, dramatiquement angoissée comme le demandait le rôle, la soprano américaine a donné une image complète et conforme de l’épouse infidèle et tourmentée de cette sordide histoire. Toutefois, aussi bien son premier dialogue avec Tíkhon, son mari, que son superbe monologue initial, aux côtés de sa belle-sœur Vania, ont été ponctués par des notes aigües d’une excessive agressivité : les passages entre deux nuances de « forte » étant peu ou mal contrôlés. Progressivement cet inconvénient est allé en diminuant pour aboutir à une scène finale certes tendue et dure, mais aussi d’un grand lyrisme, magnifique et pleine d’émotions, vocalement parfaite. Le spectaculaire saut final dans le fleuve de la femme désespérée a impressionné le public.

Une distribution en fusion avec l’action dramatique.

Le reste de la distribution s’est bien appliqué à faire entrer le public dans le conte. Il sera impossible d’établir un ordre des mérites entre tous les personnages qui ont accompagné l’héroïne à travers ses difficultés émotives et morales, tant les artistes ont atteint des niveaux de performance élevés. C’est Nikolai Schukoff qui a interprété Boris, l’amant de Kàtia : très convaincant du point de vue dramatique, son interprétation vocale, puissante, expressive et nuancée, a été très intéressante. Bien sûr Rosie Aldridge, Marfa, la belle mère indigne, d’une voix autoritaire, claire et bien trempée, s’est montrée, comme il le fallait, excessivement agressive envers Kàtia, souvent à la limite de l’impertinence, et absolument résolue à garder son fiston auprès d’elle. Francisco Vas –Tíkhon le fils de Marfa- a trouvé un rôle à sa mesure, qui lui a permis de mettre en lumière toute la palette de ses capacités tant vocales que dramatiques pour faire comprendre en profondeur le caractère de cet homme-enfant terrorisé par sa mère et, finalement peu contrarié par l’infidélité de sa femme. Michaela Selinger a été justement applaudie pour son rôle de Varvara la belle-sœur de Kàtia. Elle a accompagné le chemin de croix de la protagoniste, dont elle a occulté le forfait. Sans doute l’a-t-elle fait parce qu’elle-même était en train de vivre une expérience analogue (à l’adultère près) avec Vània, le maître d’école -Antonio Lozano en grande forme-. Les jérémiades d’Aleksander Teliga, dans le rôle de Saviol le commerçant et oncle de Boris, ont introduit des respirations bienvenues, adoucissant ainsi l’énorme tension créée par cette histoire de couple transgressif. Le reste de la distribution a été à la hauteur des circonstances. Les interventions du chœur du Liceu, dirigé par Conxita Garcia, ont apporté en toile de fond quelque douceur mélancolique dans ce monde où la violence psychologique faisait la loi.

Kàtia Kabànova , opéra en trois actes de Leoš JANÀČEK. Livret de Leoš JANÀČEK sur la pièce d’Aleksandr Ostrovski « La tempête ». Production English National Opera (ENO). Mise en scène de David Alden. Décors de Charles Edwards. Costumes : Jon Morrell. Orchestre du Gran Teatre del Liceu. Direction musicale Josep Pons. Chanteurs : Aleksander Teliga, Nikolai Schukoff, Rosie Aldridge, Francisco Vas, Patricia Racette, Antonio Lozano, Michaelz Selinger, Josep-Ramon Oliver, Mireia PintÓ, Marisa Martins, Sergi bellver, Tanit Bono.

Gran Teatre del Liceu les 8, 11, 15, 18, 20 et 22 novembre.
https://liceubarcelona.cat exploitation@liceubarcelona.cat
Téléphone 902 53 33 53 +34 93 274 64 11 (International)

Photos Antoni Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou....

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