Folie de Ribes, Topor et Wagner
L’humour massacreur
Le Rond-Point ne lâche pas l’ « humour de résistance ». Il est fidèle à son programme, le président Ribes ! Il ne met pas d’eau dans ce qu’il appelle son « champagne noir ». Il l’exporte même puisqu’après le Rond-Point, cette nouvelle Folie partira au théâtre Hébertot. Trois signatures s’inscrivent sur l’affiche : celle de Ribes, puis celle de Topor, le peintre-écrivain qui fut, en matière de contes et de sketches un frère de Ribes, et celle de Wagner (Reinhardt) qui, sans respect pour son patronyme, fait de la musique anti-wagnérienne, dans le genre cabaret anti-bourgeois.
Des sketches, des monologues, des chansons se succèdent. Décor quasi nu. C’est la couleur qui fait le décor. Tout est pimpant : les tenues acidulées des acteurs, une tribune informelle, le cyclo du fond et même un faux Picasso qui viendra faire un tour et s’en ira. Méfions-nous du pimpant ! Chez Ribes, qui a assuré la mise en scène, le primaire des coloris et du jeu – faussement pontifiant, toujours imperturbable – est là pour désintégrer la pensée de base et les certitudes les plus répandues.
« Quand le docteur Fortin, célère psychanalyste, que sa patiente Mireille Gravil n’était autre que lui-même, il refusa de la faire payer », conte l’une des deux passantes de la scène. Le ton est donné : il n’y a plus qu’à entrer dans ce monde à l’envers où la logique perd ses droits et les logiciens leurs lignes droites. Défilent des « hommes fragiles », des « crétins » (indispensables dans ce tir à la carabine), un flic qui drague … une tomate, un vampire végétarien, un « homme à la mode », des personnes proclamant leur amour tordu des mathématiques ou le nécessaire retour à la cuisine cannibale…
Les habitués reconnaissent quelques classiques de Ribes (c’est dans son répertoire qu’on a fait le plus d’emprunts) et le rire tonitruant de feu Topor (la « cuisine cannibale », c’est lui). Tout est délicieusement choquant ou méchamment goûteux. Dans une mise en scène qui s’offre des temps de mini-comédie musicales, les trois comédiens mettent beaucoup d’intelligence dans leur apparence d’idiots professoraux : avec un bel aplomb comique, Héloïse Wagner sait être à la fois la femme d’hier et la femme d’aujourd’hui dans le regard de l’homme ; Alexie Ribes est d’une emballante mobilité de jeu et laisse entrer une fine sensibilité dans ses dialogues fouettés. Toutes deux chantent aussi, avec l’aisance de meneuses de revue. David Migeot joue souplement et avec une grande consistance les feux follets sans consistance. Reinardt Wagner lui-même et François Verly, dans des alvéoles opposées et devant des pianos calés aux deux coins du champ de bataille, encadrent les comédiens pour que ni la musique ni l’humour n’aient un moment de somnolence. Comme le rire est vengeur en ce cabaret de l’humour massacreur !
Folie de Jean-Michel Ribes, Roland Topor et Reinhardt Wagner, mise en scène de Jean-Michel Ribes, musique de Reinardt Wagner, assistanat de Guillaume Alberny, costumes de Juliette Chanaud, lumières de Hervé Coudert, son de Guillume Duguet, vidéaste : Matthieu Budin, avec David Migeot, Alexie Ribes, Héloïse Wagner et les musiciens Reinhardt Wagner et François Verly.
Théâtre du Rond-Point, 18 h 30, tél. : 01 44 95 98 21, jusqu’au 2 juin. (1 h 10)
Théâtre Hébertot, 20 h 30, du 6 juin au 11 juillet.
Photo Giovanni Citadesi Cesi : Alexie Ribes.