Reprise de Faust de Gounod à l’Opéra Bastille
Faust avoué, à moitié pardonné
Une distribution (presque) entièrement convaincante sauve une reprise de Faust représenté dans la mise en scène convenue et poussive de Tobias Kratzer.
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- 27 septembre
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EN 1975, JORGE LAVELLI SIGNAIT à l’Opéra de Paris un Faust (réunissant notamment, au fil des distributions, Nicolaï Gedda, Roger Soyer, Mirella Freni…) qui suscita quelques émotions mais fut repris pendant près de trente ans. Un demi-siècle plus tard, on peut revoir à l’Opéra Bastille une production signée Tobias Kratzer étrennée en 2019*. Même si le souvenir a tendance à embellir le passé, il est difficile d’oublier la manière dont Lavelli renouvelait la tradition, et difficile de ne pas être dubitatif devant la manière qu’a Tobias Kratzer de patauger dans les pires facilités de notre époque.
Adapter un opéra n’a bien sûr rien d’original, mais accumuler à ce point tous les poncifs (les jeans troués, l’immeuble de béton découpé en appartements superposés, les opérateurs sur scène munis de caméras permettant de voir les chanteurs sur un écran, etc.) est pour le spectateur quelque chose d’éprouvant. On ose à peine sourire quand Méphistophélès, qui propose à Faust toutes les ivresses, se retrouve avec lui dans un terrain de basket où l’on sert des canettes de boisson chimique, ou quand la malheureuse Marguerite chante l’Air des bijoux en gros plan devant sa cuvette de WC. Tobias Kratzer, paraît-il, entend situer l’action de Faust à Paris. Ce qui nous vaut un envol du héros en compagnie de Méphisto au-dessus des toits, bien sûr imité de Murnau, avec des filins on ne peut plus visibles, mais aussi des chevauchées filmées tant bien que mal dans les rues (qui permettent de faire entendre un morceau du ballet, mais un seul), ou encore une scène de l’église située dans le métro, lequel est figuré sur scène et agrandi sur un écran.
Faust est un grand enfant
On ne sait pas trop si le metteur en scène joue la carte de la fantasmagorie ou de la parodie (involontaire ?), mais ce Faust épuise, d’autant que la partition elle-même, avec ses cinq actes divisés en tableaux discontinus, ses joliesses mélodiques et ses rythmes carrés (dès le début : « Salut, ô mon dernier matin »), provoque toujours la même impression d’alanguissement et de décousu. Cet ouvrage est depuis sa création en 1859 au Théâtre-Lyrique** un succès sans démenti, mais Gounod a fait mieux – et il existe d’autres Faust bien plus nerveux, musclés, inquiétants.
Le drame de la mise en scène de Tobias Kratzer, par ailleurs, est qu’elle existe peu. Chacun y va de ses petites habitudes. On ne peut pas dire que Pene Pati soit un comédien-né, mais sa présence et sa générosité sont telles qu’on croit à son Faust, à sa candeur, à sa capacité de s’émerveiller. Son art des nuances, son legato, sa maîtrise de la voix mixte sont dignes de tous les éloges. Florian Sempey chante Valentin avec bravoure, au premier degré, Sylvie Brunet-Grupposo est une Dame Marthe de bonne compagnie, tout comme le Wagner d’Amin Ahangaran. Siebel, que Tobias Kratzer fait emmener à la fin par les démons (il a eu la mauvaise idée de rendre visite à Marguerite alors que Faust a pris la fuite !), a ici la voix très charnue de Marina Viotti, dont les moyens sont peut-être trop importants pour ce personnage d’adolescent timide. Mais ne nous plaignons pas, d’autant que, par contraste, la frémissante Marguerite d’Amina Edris, toute de délicatesse, trouve ici un protecteur inattendu.
Vous avez dit satanique ?
La distribution serait plus que convaincante s’il n’y avait Alex Esposito, la diction pâteuse, la voix engorgée, les accents d’un Méphisto de fête foraine. On peut difficilement imaginer composition plus caricaturale. Il est vrai qu’avec les cheveux longs et gras, et la cape (trop courte) dont il est affublé, le bonhomme n’a vraiment pas d’allure, d’autant qu’il multiplie les rires (sardoniques), les roulements d’yeux (menaçants), les grimaces (horrifiques) et les gestes (dominateurs) qui prétendent nous faire peur. On précisera que Faust, au début, est figuré par un comédien (Marc Diabara) qui nous montre le personnage âgé, cependant que Pene Pati, qui chante sur le côté de la scène, attend que le pacte soit signé avant de se glisser dans l’action.
Dans la fosse, Emmanuel Villaume tient l’orchestre de bout en bout avec vigueur et souplesse. Sa direction solide donne de l’assise à une soirée qui permet au Chœur de l’Opéra de Paris de montrer lui aussi toutes ses qualités. Mais Faust n’est vraiment pas l’opéra de l’ambiguïté.
* Jean-Louis Martinoty a signé une mise en scène de Faust qui fut représentée à l’Opéra de Paris entre celle de Jorge Lavelli et celle de Tobias Kratzer.
** Afin qu’elle soit acceptée à l’Opéra (chose faite en 1869), Gounod ajouta des récitatifs à sa partition. L’Opéra-Comique, à partir du 21 juin 2025, nous fera entendre la version de 1859 de l’ouvrage.
Illustrations : Faust (Pene Pati) devant le jardin de Marguerite (Amina Edris). Méphistophélès (Alex Esposito) fait le diable. Photos : Franck Ferville/OnP
Gounod : Faust. Avec Pene Pati (Faust), Amina Edris (Marguerite), Alex Esposito (Méphistophélès), Florian Sempey (Valentin), Marina Viotti (Siebel), Sylvie Brunet-Grupposo (Dame Marthe), Amin Ahangaran (Wagner), Marc Diabara (rôle muet : Faust âgé). Mise en scène : Tobias Kratzer (responsable de la reprise : Alejandro Stadler) ; décors et costumes : Rainer Sellmaier ; lumières : Michael Bauer ; vidéo : Manuel Braun. Chœurs (dir. Alessandro Di Stefano) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Emmanuel Villaume. Opéra Bastille, 26 septembre 2024. Représentations suivantes : 29 septembre, 2, 5, 8, 12, 15, 18 octobre.