En finir avec Eddy Bellegeule
Odyssée sociale d’un homo
Le roman éponyme d’Edouard Louis joue avec deux registres de langue, le populaire et le courant normalisé. L’adaptation scénique de Jessica Gazon en conserve le propos en alternant les deux dans une mise en scène dynamique et survitaminée.
L’ensemble s’apparente à un feuilleton aux épisodes enchainés sans temps morts. Lieux et séquences se succèdent grâce à des éléments de décor construits sur roulettes, ce qui leur confère une souplesse totale pour occuper l’espace du plateau et des possibilités infinies de métamorphose par adjonction ou retrait d’éléments mobiles. De leur côté, les interprètes passent d’un rôle à un autre avec une facilité déconcertante sans peser sur la compréhension de l’histoire.
Parce que, cette fresque sociale, qui décrit un milieu paupérisé financièrement et culturellement avant d’aboutir à une catégorie à l’aise matériellement et ouverte au savoir, brasse des pans de vécu diversifiés. Si elle prend pour héros un jeune efféminé persécuté, désemparé, en quête d’équilibre, l’essentiel de ce qui est décrit en priorité c’est le portrait sociologique d’une classe enfermée dans sa condition précaire, d’une société engluée dans les stéréotypes populistes d’une tradition machiste ancrée elle même dans un inconscient collectif quasi immuable.
En un dynamisme parfois surjoué, les trois comédiennes et l’acteur s’engagent physiquement dans une course poursuite qui s’évertue à varier les tons, voire les accents au piment dialectal. Ils passent aisément du dialogue au commentaire informatif donc de l’émotif à l’explicatif, se refilent les aspects vestimentaires à endosser selon les rôles interchangeables, affirment leurs présences corporelles autant que les lieux, y compris ceux qui apparaissent en vidéo sur un panneau vertical. S’y rajoutent des effets lumineux quelquefois surprenants. Tout est prétexte à spectacle, les variétés se faufilant par le biais de tubes des années 90 chantés avec vigueur et débauche sonore.
En tant que spectacle, rythme et inventivité scénique entraînent la salle dans un tourbillon qui empêche tout décrochage gommant quelques rares moments inutiles. Du coup, les problèmes évoqués (sociologiques, psychologiques, politiques…) ne sont qu’effleurés. L’après spectacle permettra de prendre quelque recul et d’analyser. La leçon finale reste en tout cas que la culture, notamment via l’école, est un adjuvant qui permet de passer d’un échelon social à un autre plus élevé.
Durée : 100 min
Public : à partir de 14 ans
Maison culturelle Ath (Be) 15-16.11.2023
D’après d’Edouard Louis
Mise en scène : Jessica Gazon
Interprétation : Janie Follet, Sophie Jaskulski, Louise Manteau, François Maquet (Collectif La Bécane)
Dramaturgie : Thibaut Nève
Création costumes : Élise Abraham
Direction technique, regard scénographique/construction : Aurélie Perret
Création lumière, technique : Aurore Leduc
Création sonore : Ségolène Neyroud
Vidéo Jérôme Guiot, Quentin Devillers, Ophélie Boully
Construction, aide à la scénographie : Aurélie Borremans, Nicolas Olivier
Renfort régie : Marc Defrise
Régisseur son : Hubert Monroy, Benoit Nonclercq
Teaser : Morgan Liesenhoff
Photos © Alice Piemme
Production : Gazon•Neve cie, L’Ancre (Charleroi [Be]
Coproduction : L’Atelier 210, Collectif La Bècane collectif (FWB – service théâtre), MARS – Mons Arts de la Scène, Maison de la Culture (Tournai), la Coop asbl, Shelter Prod
Soutien : BAMP, Les Brigittines, taxshelter.be, ING, tax-shelter du gouvernement fédéral belge, Théâtre des Doms (Avignon)
Diffusion : La Charge du Rhinocéros
Lire : Edouard Louis, « En finir avec Eddy Bellegueule », Paris, Seuil, 2015
Compléter : Edouard Louis, « Qui a tué mon père », www.webtheatre.fr/Qui-a-tue-mon-père