Don Giovanni de Wolfgang A. Mozart
Les pulsions sexuelles : une base pour la mise en scène
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- 23 juin 2019
- Critiques
- Opéra & Classique
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Marie-Ève Signeyrole a voulu que sa mise en scène mît en lumière les risques pris par les artistes face au public, et réciproquement, pendant un spectacle. A cette fin, elle a provoqué la confrontation directe entre les uns et les autres, en installant sur scène une quarantaine de spectateurs tout au long de la soirée. Elle leur a donné une certaine liberté d’action pour pouvoir interagir avec les chanteurs, sans pour autant obtenir un effet vraiment concluant : leur laisser une liberté totale sur scène était impossible.
La directrice de scène a décidé d’effacer les signes extérieurs des différences sociales notam-ment chez les femmes dont elle a gommé les nuances d’habillement et de manières. Les lieux de l’action, eux, étaient totalement illisibles. L’attention des spectateurs vers des visuels quelque peu tapageurs, projetés au fond de la scène pendant les airs les plus attendus a été détournée, diminuant grandement la portée des textes. Grosso modo le travail de Lorenzo Da Ponte a été passé par pertes et profits. Finalement, en demandant à ses chanteurs de traduire en gestes explicites leurs intentions violentes et leurs pulsions sexuelles, elle a jeté le trouble chez tout un chacun habitué à respecter les conventions de bonne conduite en société.
Calixto Bieito a récemment présenté sous un angle très semblable sa version de « Simon Boc-canegra », en mettant en avant les deux obsessions du corsaire vénitien, la mer et Maria Fies-co sa femme défunte, au détriment des indications dramatiques du livret. La Fura dels Baus a aussi présenté une version malheureuse de « Die Zauberflöte » allant dans le même sens. Voi-là donc une option de mise en scène qui pourrait devenir tendance. En effet, elle autorise le directeur à sortir des sentiers battus –de fait, les volontés des vrais auteurs de l’œuvre- de façon originale et valable, car elle consiste tout simplement à approfondir et expliciter par des gestes théâtraux la psychologie des personnages. Bien que cela change totalement la partie visible de la mise en scène, on reste dans l’essence de l’œuvre. Le seul inconvénient est que ce changement empêche le spectateur novice, celui que traquent tous les théâtres lyriques du monde, de comprendre minimement l’histoire originelle.
Christian Curnyn, absent des salutations à la fin de la soirée, a donné une version musicale parfaite –rythmes, mélodies, nuances en tout genre- de la partition mozartienne. Il a accom-pagné les solistes et le chœur laissant chacun s’exprimer selon ses possibilités. L’orchestre de la maison l’a suivi attentif et inspiré.
Nikolay Borchef a campé un Don Giovanni de grande classe. Sa diction italienne a été impec-cable, et il a traité avec grand respect les récitatifs. Son émission, virile et son timbre sans modification sur toute la gamme ont sculpté brillamment et en détail les facettes multiples et contrastées de ce personnage si complexe. Dramatiquement il s’est totalement plié aux exi-gences, très rigoureuses par moments, de la directrice de scène avec science et art. On dira la même chose de Michael Nagi qui a caractérisé Leporello grâce à son timbre plus obscur et son émission plus rauque, mais avec la même puissance vocale et la même maîtrise de la scène. Patrick Bolleire a été un Commendatore percutant et juste, sans pour autant abuser des effets dans le registre grave, tant recherchés par bien des basses. Ajoutons que, aussi bien Alexan-der Sprague dans le rôle de Don Ottavio que Igor Mostovoi dans celui de Masetto, ont parfai-tement observé les canons du chant mozartien. Parmi les voix féminines, c’est Anaïs Yvoz, une cantatrice issue de l’Opéra Studio de l’OnR, qui a le mieux tiré son épingle du jeu grâce à sa version vocale vraiment mozartienne de Zerlina. La cantatrice a transmis à son personnage la candeur, la fausse (?) simplicité de paysanne que lui accordent et le texte et la musique, mal-gré le fait qu’elle ait été habillée en bourgeoise, tout comme Donna Anna et Donna Elvira. Le travail vocal de Jeanine De Bique –Donna Anna- a été marqué par un excès de puissance au premier acte. Son dernier dialogue avec Don Ottavio au second acte, tout en finesse, a donné une bien meilleure vision des qualités vocales de la cantatrice. Sophie Marilley –Donna Elvira- s’est trop laissé emporter par le caractère fougueux du personnage. Cet excès dans le jeu lui a peut-être été imposé.
Chacun a pu apprécier l’excellent niveau vocal du chœur préparé par Christoph Heil.
« Don Giovanni » Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart. Livret de Lo-renzo Da Ponte. Production OnR. Mise en scène de Marie-Eve Signeyrole. Décors de Fabien Teigné. Costumes de Yashi. Orchestre philarmonique de Strasbourg. Choeurs de la OnR. Direc-tion musicale Christian Curnyn. Chanteurs : Nikolay Borchef, Michael Nagi, Jeanine De Bique, Sophie Marilley, Alexander Sprague, Patrick Bolleire, Anaïs Yvoz, Igor Mostovoi.
Opéra national du Rhin
Strasbourg les 15, 18, 20, 23, 25 et 27 juin.
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Photos Klara Beck