Chopin, paroles et musique
À la Salle Gaveau, Nicolas Stavy renouvelle l’interprétation de plusieurs pages de Chopin et lui donne un surcroît d’ambiguïté.
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- 15 février 2023
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AU SEIN D’UNE DISCOGRAPHIE SOIGNÉE, Nicolas Stavy a notamment signé un enregistrement consacré à Chostakovitch, dont nous avons rendu compte, et, il y a quelques années, un ensemble d’œuvres de Chopin captées sur le vif (Paraty). Il est revenu à Chopin à l’occasion d’une soirée à la Salle Gaveau donnée dans le cadre des concerts organisés par Radio Classique avec la participation de Franck Ferrand. Ce dernier ne se contente pas de présenter le concert : la diction soignée, le récit maîtrisé (ce qui ne va pas de soi à une époque, la nôtre, où le vocabulaire tend à se rétrécir et la syntaxe à se relâcher), il raconte la vie de Chopin à sa manière, en livrant quelques anecdotes, en cabotinant de temps en temps mais sans excès (on lui pardonnera de qualifier Liszt, mais plus curieusement encore Chopin, de rock star). Le public lui est acquis, mais l’important est que ledit public se concentre sur les pages de Chopin que nous offre Nicolas Stavy, jouées dans un ordre à peu près chronologique et non pas selon une construction strictement musicale qui suivrait par exemple une progression harmonique.
Chopin l’aventureux
Il faut d’autant plus saluer le pianiste qu’il sait replonger en quelques secondes dans l’univers d’une mazurka ou d’un prélude après l’évocation des trombes d’eau tombant sur la chartreuse de Valldemossa ou celle des amours impossibles de Chopin à Dresde. Il le fait avec la maîtrise technique et la sensibilité qu’on lui connaît, obtenant toutes les couleurs possibles d’un piano Yamaha un peu noueux. La Première Ballade est l’un des grands moments de la soirée ; Nicolas Stavy donne un sens notamment à la coda, qui reste pour l’auditeur toujours aussi énigmatique (funèbre ? méditative ? rageuse ?).
Le Prélude en ré bémol majeur est joué très sombre, les basses inquiétantes ayant peu à peu raison du chant que Chopin suspend, à la fin, sur un si énigmatique. Surtout, au-delà des nocturnes et autres mazurkas (et de la Grande Valse brillante op. 18, que Nicolas Stavy joue pour la première fois), on apprécie la manière dont la Barcarolle est articulée, balancée puis très dramatique jusqu’au bout, malgré l’apparent éclat sur lequel elle se conclut (« une mystérieuse apothéose », disait Ravel). On goûte ainsi une saveur nouvelle à cette page ambiguë qui compte parmi les dernières composées par Chopin et bien sûr n’a rien d’un simple chant de gondolier. On sait gré aussi à Nicolas Stavy de jouer dans la foulée cette autre page tardive qu’est la Polonaise-Fantaisie, d’une structure imprévisible, qui nous laisse imaginer quels territoires aurait explorés le compositeur s’il avait vécu quelques années de plus. Le pianiste est ici le guide qui emmène avec lui l’auditeur, pas à pas, dans une musique qui semble s’inventer d’elle-même et abolir toutes les formes données a priori.
Un programme à l’intensité croissante, pour tout dire, qui nous décrit l’univers de Chopin par-delà les mots qui nous racontent sa vie.
Illustration : Nicolas Stavy photographié par Jean-Baptiste Millot (dr)
Chopin : Nocturnes, Études, Mazurkas, Grande Valse brillante op. 18, Ballade n° 1, Prélude op. 28 n° 15, Barcarolle, Polonaise-Fantaisie. Nicolas Stavy, piano ; Franck Ferrand, narration. Salle Gaveau, 14 février 2023.