Sémiramis et L’Italienne à Alger les 17 et 18 juin au Théâtre des Champs-Élysées

Babylonienne Italienne

Semiramide d’abord, L’Italiana in Algeri ensuite : en deux soirées, la quintessence du génie seria puis buffa de Rossini.

Babylonienne Italienne

IL EST POSSIBLE DE DONNER plusieurs significations à l’expression « opéra seria ». On peut l’utiliser pour désigner la forme qu’illustra Haendel, par exemple, qui composa de nombreux ouvrages consistant en l’alternance presque immuable, monotone diront certains, d’airs et de récitatifs, ceux-ci essentiellement de type secco, c’est-à-dire accompagnés au clavecin. On peut aussi l’employer en insistant sur le terme seria par opposition à buffa : le caractère l’emportant sur le genre, on parlera alors d’opéra seria et non plus d’opera seria. Les opéras de Rossini relevant du genre seria sont plus proches de cette seconde acception : ils multiplient les airs, mais aussi les ensembles et les chœurs et, dans le cas de Semiramide, tous les récitatifs sont accompagnés par l’orchestre. Il y a là, dès Tancredi et jusqu’à Maometto II, une bien plus grande variété que dans Rinaldo ou Ariodante, ce qui n’enlève rien, évidemment, au génie propre de Haendel. Rossini ne se crispait pas, d’ailleurs, quant à la dénomination de ses ouvrages : Tancredi est un « melodramma eroico », Otello une « tragedia lirica », Armida un « dramma per musica », Semiramide un « melodramma tragico », etc.

Des jardins et des aigus suspendus

Oublions donc les étiquettes et rappelons, d’abord et avant tout, que Semiramide est une partition de vastes dimensions, virtuose et inspirée. Au Théâtre des Champs-Élysées, une distribution de choix nous rappelle qu’elle est aussi très exigeante pour les interprètes qui l’abordent. Franco Fagioli est Arsace. Sa voix n’a plus tout à fait le même moelleux, mais les spectaculaires passages de registre qu’il effectue donnent un surcroît d’insolence à son personnage de jeune guerrier. Et si certains de ses graves rappellent les abîmes de Marilyn Horne (car le rôle peut-être distribué à un contralto ou à contre-ténor*), ses aigus semblent venus d’ailleurs. Arsace est peut-être le personnage essentiel de Semiramide, c’est en tout cas à lui que Rossini demande de conjuguer avec le plus de maîtrise le feu et l’artifice.

Face à Franco Fagioli, l’excellente Karine Deshayes montre qu’il est possible de distribuer le rôle-titre à une voix de mezzo sans mettre en péril le nécessaire contraste entre la voix de la reine et celle de son favori qui se révélera être son fils. Alasdair Kent (Idreno) ne possède pas ce qu’on appelle un timbre flatteur, mais sa technique est éprouvée. On regrette toutefois que son air du I, « Ah dov’è, dov’è il cimento ! » ait été coupé. Giorgi Manoshvili est pour sa part un Assur à la voix volumineuse, ronde et rauque comme il se doit selon les circonstances.

Au pupitre, Valentina Peleggi a tendance à beaucoup s’agiter (le tout début de l’ouverture, miracle de ductilité tendue, n’est pas très réussi), mais elle parvient à maintenir l’équilibre entre le plateau et le très bon Orchestre de l’Opéra de Rouen, dont les bois en particulier sont à la fête. Et le Chœur Accentus, qui ne nous déçoit jamais, a la vaillance qui convient.

Le sublime et la parodie

Le lendemain, on passe à cet ouvrage non moins irrésistible qu’est L’Italiana in Algeri, modèle d’opéra buffa qu’on réécoute toujours avec jubilation, surtout quand il est servi par une artiste aussi généreuse que Marie-Nicole Lemieux. L’Italiana, comme Semiramide, est donnée en version de concert, avec quelques déplacements très bien venus (malgré les inévitables petits pas de danse au moment de l’intronisation de Mustafa en tant que Pappataci). De toute manière, Marie-Nicole Lemieux fait la mise en scène à elle seule par sa faconde, sa drôlerie, ses mimiques – mais aussi son brio de chanteuse, son art de l’expression (son aria « Pensa a la patria » serait presque seria !), la rigueur qu’elle met dans sa participation aux ensembles. Elle fait son numéro, mais quel numéro ! Pieds nus et habillée d’une robe-sac au premier acte (Isabella, rappelons-le, vient d’échapper à un naufrage), la voici habillée en diva de parodie au II. Chacune de ses extravagances est justifiée dans cet ouvrage d’une incessante invention, qui pulvérise toutes les bouffonneries d’un Offenbach. Car L’Italiana est encore tout empreinte d’un esprit aristocratique hérité de Mozart, le Mozart de La Flûte enchantée davantage, étonnamment, que celui de L’Enlèvement au sérail : il y a dans le duo entre Isabella et Taddeo, au premier acte, la même tendresse que dans celui qui réunit Pamina et Papageno, et on croirait entendre un écho des trois Dames ou des trois Knaben dans le bref trio du II qui réunit Elvira, Zulma et Lindoro.

La verve de Marie-Nicole Lemieux déteint sur ses partenaires, et c’est heureux. Nahuel Di Pierro est un Mustafa irréprochable dans ses vocalises, avec parfois une petite allure alla Aldo Maccione qui rend bien le côté mi-hâbleur, mi-matamore du personnage. Levy Sekgapane a les mêmes qualités qu’Alasdair Kent : un timbre sans grâce particulière, mais qu’il sait mettre en valeur par la technique. La voix de Mikhail Timoshenko (Taddeo) est d’une fraîcheur inhabituelle chez un baryton, mais on est frustré par le fait que Rossini n’ait confié aucun air à Elvira (ici Manon Lamaison) qui n’intervient, avec Zulma (Éléonore Pancrazi), que dans quelques ensembles et quelques récitatifs. Même Haly a droit à son air (« Le femmine d’Italia ») ; il est vrai qu’il ne s’agit pas du plus mémorable de la partition.

On aurait peut-être attendu un peu plus de mordant du Chœur Fiat Cantus, mais Julien Chauvin et son Concert de La Loge sont dans une forme olympique et font bien plus corps avec les solistes que, la veille, Valentina Peleggi et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen. On a rarement goûté une Italiana pourvue d’un tel allant et entendu, pour citer un moment célèbre, un finale du premier acte aussi précis, crépitant et survolté.

* On se souvient de la mémorable Semiramide du Festival d’Aix-en-Provence 1980 réunissant Marilyn Horne et Montserrat Caballé.

Illustrations : Rossini (dr). Julien Chauvin et Marie-Nicolle Lemieux (Cyprien Tollet / Théâtre des Champs-Élysées)

Rossini : Semiramide (Sémiramis). Avec Karine Deshayes (Semiramide), Franco Fagioli), (Arsace), Giorgi Manoshvili (Assur), Alasdair Kent (Idreno), Natalie Pérez (Azema), Grigory Shkarupa (Oroe), Jérémy Florent (Mitrane). Chœur Accentus, Orchestre de l’Opéra de l’Opéra Normandie Rouen, dir. Valentina Peleggi. Théâtre des Champs-Élysées, 17 juin 2025.
Rossini : L’Italiana in Algeri (L’Italienne à Alger). Avec Marie-Nicole Lemieux (Isabella), Levy Sekgapane (Lindoro), Nahuel Di Pierro (Mustafa), Mikhail Timoshenko (Taddeo), Alejandro Baliñas Vieites (Haly), Éléonore Pancrazi (Zulma), Manon Lamaison (Elvira). Chœur Fiat Cantus, Le Concert de La Loge, dir. Julien Chauvin. Théâtre des Champs-Élysées, 18 juin 2025.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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