Le Domino noir d’Auber à l’Opéra Comique

Auber au bal

L’Opéra Comique reprend une production du Domino noir sans surprise, défendue et illustrée par des chanteurs qui parviennent à en communiquer la saveur.

Auber au bal

ON NE PEUT QUE SE RÉJOUIR que l’Opéra Comique renoue avec des ouvrages longtemps méprisés, qui ont fait ses grandes heures au XIXe siècle et au début du XXe. Le Domino noir, créé le 2 décembre 1837 au Théâtre des Nouveautés (alors siège de l’Opéra Comique, qui a voyagé de théâtre en théâtre au cours de sa longue histoire, avant de se fixer place Boieldieu), est typique de ce répertoire léger, qui exige des interprètes capables de passer avec souplesse du chant au dialogue, et qu’il faut aborder en faisant fi de tout esprit de sérieux.

Il n’empêche : même si l’intrigue imaginée par Scribe a quelque chose de réjouissant dans son extravagance et dans ses irrévérences, et même si l’on n’attend pas ici les accents sublimes de la tragédie lyrique, la musique d’Auber atteint rarement les sommets. Après un premier acte qui offre quelques moments relativement inspirés (la romance d’Angèle, son duo avec Horace), le deuxième s’enlise avec ses airs obligatoires (les couplets de Jacinthe exaltant les vieux garçons, l’éloge du souper par le concierge Gil Perez) et ses chœurs poussifs à la gloire du vin et du plaisir. Seule la ronde aragonnaise de la fausse Inésille et les interventions d’Horace mettent un peu d’animation dans ce tissu un peu relâché. Au dernier acte, après l’air assez bien trouvé de Brigitte, celui d’Angèle, qui se présente comme l’un des sommets de la partition, donne l’impression de trottiner au lieu de s’envoler.

Horace rayonnant

Cette musique prudente et bien faite, il faut des chanteurs enthousiastes et généreux pour lui donner de la vie, de l’éclat. C’est le cas à l’Opéra Comique, où l’on retrouve une partie de la distribution qui s’était illustrée en 2018. Anne-Catherine Gillet s’habille de nouveau avec le domino* noir d’Angèle, et elle le fait avec un brio intact. Victoire Bunel (et non plus Antoinette Dennefeld) lui donne la réplique, dans le rôle de Brigitte, avec une belle voix de mezzo et une présence scénique égale. Léo Vermot-Desroches est très à l’aise en Juliano, Jean-Fernand Setti fait ce qu’on attend de lui en Gil Perez, mais Marie Lenormand (Jacinthe), certes dans un costume qui pousse à la caricature, et Laurent Montel (Lord Elfort) en font des tonnes, comme s’il fallait ajouter absolument du burlesque à l’humour. Et les femmes du Chœur Les Eléments sont des nonnes plus crédibles que les hommes, un peu patauds en compagnons de bamboche de Juliano.

En réalité, il se passe quelque chose, dans ce spectacle, dès qu’apparaît Cyrille Dubois. Est-ce en lui le timbre du chanteur ? son art du chant qui donne une dignité inédite à la musique d’Auber ? la sincérité qu’il met dans le personnage d’Horace ? sa manière de clamer son amour puis de se désespérer ? Sans doute tout à la fois. On regrette simplement qu’il n’ose pas, à la fin du II, un aigu en voix de tête sur les mots « guider mes pas ».

Sage loufoquerie

La mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, reprise ici par Laurent Delvert, se veut décoiffante. Mais elle reste assez convenue sous sa loufoquerie apparente. Des costumes inventifs et quelques gags (un cochon sur un plateau qui se met tout à coup à mimer le chant, des mascarons qui s’animent) rachètent des idées usées (deux religieuses accrochées à des cordes, montant et descendant alternativement pour faire sonner les cloches...). Mais les metteurs en scène peinent à renouveler les mouvements des chœurs (surtout des hommes, on l’a dit, au II), et la présence de six danseurs, si elle donne parfois du mouvement au spectacle, a quelque chose de gratuit, un peu, dans un autre registre, comme la bouffonnerie de Jacinthe.

Dans la fosse, Louis Langrée dirige un Orchestre de chambre de Paris très en forme. Les couleurs de la musique d’Auber, même si elles sont pâlottes, ses rythmes (un peu) capricieux, ses mélodies charmantes, tout est là. Et Louis Langrée veille constamment à l’équilibre entre l’orchestre et le plateau, qui est le pendant de la fluidité qu’apporte l’alternance du chant et de la comédie. Il y a là quelque chose de soigné, d’attentif, mais un chef d’orchestre, aussi épris soit-il de ce répertoire, ne peut pas faire de miracle avec une musique qui se fixe elle-même ses propres limites.

* Le mot désigne ici un costume de bal masqué qui consiste en une robe avec un capuchon.

Illustration : Cyrille Dubois (Horace) et Anne-Catherine Gillet (Angèle), photo Stefan Brion

Daniel-François-Esprit Auber : Le Domino noir. Avec Anne-Catherine Gillet (Angèle de Olivarès), Cyrille Dubois (Horace de Massarena), Victoire Bunel (Brigitte de San Lucar), Léo Vermot-Desroches (le comte Juliano), Marie Lenormand (Jacinthe), Jean-Fernand Setti (Gil Perez), Sylvia Bergé (Ursule), Laurent Montel (Lord Elfort), Isabelle Jacques (La Tourière), Laurent David (Melchior) ; François Auger, Anna Beghelli, Sandrine Chapuis, Laurent Côme, Mikael Fau, Mathilde Méritet (danseurs).
Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq ; décors : Laurent Peduzzi ; costumes : Vanessa Sannino ; lumières : Christian Pinaud. Chœur Les Eléments (dir. Joël Suhubiette), Orchestre de chambre de Paris, dir. Louis Langrée. Opéra Comique, 20 septembre 2024. Représentations suivantes : les 22, 24, 26 et 28 septembre.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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