As comadres d’après Michel Tremblay

Une comédie musicale sociale

As comadres d'après Michel Tremblay

A l’origine, il y a une pièce de Michel Tremblay, les Belles-sœurs, écrite en joual (dialecte canadien) en 1965. Elle raconte l’histoire de Germaine, femme au foyer, qui gagne un million de timbres à coller dans des livrets qui lui permettront de choisir les meubles de ses rêves dans le catalogue de la compagnie. Elle invite alors ses sœurs, belles-sœurs, amies, voisines et réquisitionne sa fille et ses camarades pour l’aider à coller tous ces timbres. Michel Tremblay dressait à cette époque le portrait social de la condition féminine populaire.

La modernité du propos a rendu cette pièce célèbre. En 2010, Les Belles-soeurs donnent lieu à une comédie musicale avec un livret de René Richard Cyr et une musique de Daniel Bélanger. C’est cette version musicale qu’Ariane Mnouchkine a proposée aux comédiennes brésiliennes qu’elle a rencontrées et qu’elle a dirigées, acceptant pour la première fois de travailler avec des artistes qui ne font pas partie de la troupe du théâtre du Soleil.

Dans une cuisine en formica, à l’électroménager vieillissant et au carrelage en damier noir et blanc, la maitresse de maison, Germana, interprétée avec force par Janaina Azevedo, vient d’enfiler sa plus belle robe « années 60 » pour recevoir ses invitées avec la classe digne de la bourgeoise qu’elle rêve de devenir. Une vingtaine de femmes sont réunies, vêtues de robes à bon marché aux imprimés fleuris et colorés ou de blouses de travail. Ça bavarde, ça cancane, ça se chicane, la tension monte et la jalousie exacerbée par l’attitude de l’hôtesse, pas méchante mais exaltée et autoritaire, finit par mettre le feu aux poudres et transforme la séance en pugilat. C’est que toutes rêvent de gagner une cuisine complète sur catalogue, symbole de l’accession au bonheur, ou au moins au confort.
Le dispositif kitch évoque un décor de cabaret, les costumes bigarrés créés par Thiago Ribeiro sont une explosion de couleurs et disent la condition de chacune. L’exubérance de ces femmes rappelle les telenovelas sud-américaines et la mise en scène nous plonge dans l’univers des foyers populaires brésiliens.

C’est par le chant que ces femmes tentent d’exprimer tour à tour ce qui les accable, même si l’on comprend bien souvent qu’elles ne parviendront jamais à sortir de leur servitude quotidienne. Avec beaucoup d’humour, le spectacle abordent des sujets graves comme l’avortement, les violences faites aux femmes ou l’homosexualité de manière juste et percutante. Elles sont une vingtaine d’artistes, toutes comédiennes et chanteuses, qui dégagent une énergie puissante et nous touchent. En chœur et à l’unisson, leurs voix deviennent une arme puissante de libération de la parole et de combat contre l’oppression, comme le déclare Ariane Mnouchkine lors d’une interview : « De voir la façon dont ces femmes luttent ou sont parfois vaincues, les coups qu’elles prennent et les coups qu’elles donnent, ça renforce ».
De la condition sociale des femmes au Canada en 1965 à celle du Brésil en 2010, du théâtre à la comédie musicale, Les Belles-sœurs, depuis maintenant plus de 45 ans, dénoncent avec humour et alacrité le sort tragique des femmes. Seules les grandes œuvres survivent au temps qui passe.

As comadres, d’après Les Belles-soeurs de Michel Tremblay. Livret, chansons et mise en scène René Richard Cyr. Livret en portugais, Julia Carrera. Direction musicale, Wladimir Pinnheiro ;Supervision artistique de la version brésilienne et direction des actrices, Ariane Mnouchkine ; Avec, en alternance : Ana Achcar, Ana Paula Secco, Ariane Hime, Beth Lammas, Fabianna de Mello e Souza, Flavia Santana, Gabriela Carneiro da Cunha, Gillian Villa, Iza Eirado, Janaína Azevedo, Julia Carrera, Julia Marini, Juliana Carneiro da Cunha, Laila Garin, Leda Riba, Leticia Medella, Lilian Valeska, Maria Ceiça, Sirleia Aleixo, Sonia Dumont, Thallyssiane Aleixo ; Musique : Catherine Henriques (piano) ; Karina Neves ou Georgia Câmara (Percussions), Marcello Sader (basse) ; Paroles des chansons en portugais, Wladimir Pinheiro, Sonia Dumont ; Adaptation brésilienne du décor, Mina Quental avec l’aide de Ana Clara Albuquerque, Mariana Castro, André Salles et Willian Eduardo dos Santos ; Costumes, Thiago Ribeiro avec l’aide de Ana Flávia Massada ; Lumières, Hugo Mercier Bosseny, João Gioia ; Son, João Gabriel Mattos avec l’aide de Adriana Lima ; Assistants à la mise en scène, Hélène Cinque, Tomaz Nogueira da Gama.
A Paris, au théâtre de l’Epée de bois, jusqu’au 30 décembre 2021, à 20h30. Durée : 1h45.

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Sophie Prosper

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