Songe à la douceur de Clémentine Beauvais
Une comédie musicale poétique et moderne
- Publié par
- 3 décembre 2022
- Critiques
- Jeune Public
- Théâtre
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Après l’adaptation très réussie des Petites reines de Clémentine Beauvais (2018) Justine Heynemann poursuit son compagnonnage avec l’auteure de Songe à la douceur, roman qui s’inspire de l’histoire d’amour d’Eugène Onéguine de Pouchkine et Tchaïkovski. Tatiana a 14 ans, elle est romantique et sensible, Eugène a 17 ans, il est ténébreux et plein d’ennui. Tatiana tombe amoureuse d’Eugène et le lui écrit mais Eugène la rejette. Ils se retrouvent 10 ans plus tard et Eugène comprend qu’il ne peut plus se passer de Tatiana, mais ce n’est pas si simple.
Dans la version musicale proposée par Justine Heynemann, tout comme dans le roman, l’histoire se passe dans un milieu urbain contemporain en pleine banlieue parisienne. Le livret, co-écrit par Justine Heynemann, Clémentine Beauvais et Rachel Arditi, reprend le principe de l’écriture en vers libres du roman. Le spectacle se déroule dans un cadre onirique abstrait où seuls des espaces de jeu sont définis. Le spectateur est plongé dans les jardins de la maison d’enfance ; Olga, la sœur de Tatiana, est allongée sur un tapis d’herbe verte avec son petit ami, Lenski, autour d’eux de grosses pivoines bleues en papier. De grands rideaux blancs transparents viennent séparer les espaces, parfois pour signifier que les uns sont à l’intérieur de la maison pendant que d’autres sont sur le toit, parfois pour marquer la frontière entre le monde des morts et le monde des vivants. Des touches de couleur jaune et bleu apportées par un parapluie, une robe ou un imperméable contribuent à l’esthétique romantique. Les instruments de musique sont intégrés dans la jolie scénographie de Marie Hervé faite de petits riens, deux praticables, un banc, une paire de très grosses jumelles très jaunes, un parapluie jaune lui aussi sous lequel on chante sous la pluie.
Le récit est conduit par une narratrice impertinente, interprétée avec talent par Rachel Arditi. Ses costumes extravagants situent l’histoire dans un monde de fantaisie. Omnisciente, elle s’immisce dans les pensées tourmentées des personnages, leur prodigue des conseils, se moque gentiment. Son personnage clé instille une bonne dose d’humour et contribue à la fluidité d’une mise en scène rythmée.
L’adolescence n’est pas l’âge de l’insouciance ; composer avec un corps qui change trop vite, apprivoiser la naissance du désir est une épreuve parfois violente. Les rêves d’absolu peuvent conduire au drame. Le spectacle bascule avec la mort de Lenski, conséquence d’une terrible déception amoureuse. Chacun vit le deuil différemment, certains dans l’oubli, d’autres dans l’incompréhension et dans la recherche d’explications. Les acteurs traduisent avec sensibilité les diverses émotions que l’on peut éprouver à ces âges.
Justine Heynemann a réussi une authentique comédie musicale grâce à un livret finement structuré et une mise en scène qui revendique ses références. Les chansons viennent appuyer les réflexions et les sentiments des personnages et ajoutent à la justesse du propos. A la manière de Jacques Demy, les acteurs, qui sont aussi musiciens, se font chanteurs au détour d’un mot et chantent les incertitudes et les émois des personnages. ça et là un clin d’oeil malicieux à la chorégraphie des Parapluies de Cherbourg. Le choix d’une musique pop-rock et l’utilisation d’instruments électroniques rend le conte actuel. Les évocations d’œuvres littéraires cultes comme Bonjour Tristesse ou le poème Invitation au voyage de Baudelaire ainsi que les références à des grandes comédies musicales comme Chantons sous la pluie ou Les parapluies de Cherbourg inscrivent le spectacle dans une intemporalité qui parle à toutes et à tous, aux plus âgés qui se souviendront, aux jeunes adultes qui se reconnaîtront, aux adolescents qui s’identifieront.
Songe à la douceur d’après le roman de Clémentine Beauvais (éditions Sarbacane) / musique Manuel Peskine / livret Rachel Arditi, Clémentine Beauvais, Justine Heynemann / mise en scène Justine Heynemann / assistante à la mise en scène Stéphanie Froeliger / avec Manika Auxire ou Lucie Brunet, Rachel Arditi, Elisa Erka ou Charlotte Avias, Thomas Gendronneau, Manuel Peskine, Benjamin Siksou / scénographie Marie Hervé / costumes Madeleine Lhopitallier / lumières Aleth Depeyre / chorégraphie Alexandra Trovato. reprise à Paris, au Théâtre Paris-Villette, du 13 au 30 décembre 2022. Durée : 1h30. Dès 12 ans.
résa :www.theatre-paris-villette.fr
Photo Cindy Doutres