Ahouvi de Yuval Rozman
L’amour morcelé
Quoi de plus banal qu’une histoire d’amour qui naît, grandit et se rompt. Mais, dans son écriture comme dans sa mise en scène, Rozman a pris un parti original, celui du morcèlement. Pas d’ordre chronologique mais d’incessants allers et retours temporels. Pas de lieux définis de manière réaliste par contre la longue liste d’endroits évoqués est cosmopolite.
Aucun décor donc sur la blancheur immaculée du plateau mais cependant quelques accessoires significatifs. Pas d’usage logique de l’espace puisque, par exemple, lorsque Tamar (l’Israélienne) et Virgile (le Français) sont censés attablés à une terrasse de café, ils sont en fait face à face sur les bords opposés d’un plateau quadrilatère autour duquel siège le public. Bien entendu pas vraiment de coulisses dans la mesure où les comédiens sont assis au milieu des spectateurs.
Pas non plus de genre dramatique unique : en effet, le texte est dit ou chanté ; il prend le ton de la comédie ou de la tragédie ; il oscille d’un lyrisme poétique à un discours virulent ; il associe spontanéité des sensations et poids des propos chargés d’intentions. Pas davantage de dialogues continus car les interprètes passent de l’oralité du vécu de leur personnage au commentaire sur ce qui se déroule ou s’est dit. Quant aux interprètes, ce sont des comédiens professionnels, mais également un chien très expressif et, au final, des amateurs à signification symbolique forte.
Cette histoire simple nous est présentée de manière complexe. Comme dans la vraie vie. Elle se nourrit aussi de la présence intermittente d’une protagoniste perturbatrice ambigüe qu’est Roxane, l’ex-compagne de l’homme. Le texte est dru, alternant tendresse et violence. Il se déroule avec toute sa densité, heureusement allégée par quelques moments de silences. Il n’est pas toujours audible, ce qui ajoute à l’attention constante réclamée au public.
Il est parfois écueil. Lui et les situations jouées n’arrivent pas véritablement à posséder cette densité que l’auteur leur attribue d’être représentation en filigrane des conflits géopolitiques violents du Moyen Orient, des antagonismes culturels, du déracinement des exils. Il ne se dégage pas de sa dimension d’étude psychologique.
À cause de cela, c’est précisément dans le silence de la fin que le couple de personnes âgées qui traverse lentement l’espace scénique main dans la main impose l’image impressionnante d’un amour ayant duré et durant encore, même si les corps fatigués ne maîtrisent plus leurs fonctions élémentaires.
Théâtre du Nord – L’Idéal (Tourcoing)
Du 3 au 6 octobre 2023
Durée du spectacle 1h50
Écriture, mise en scène : Yuval Rozman
Avec Stéphanie Aflalo, Roxanne Roux, Gaël Sall, Yova (le chien),la participation d’un couple d’amateurs
Création présence animal au plateau : Judith Zagury – ShanJuLab
Scénographie, création lumière : Victor Roy
Création sonore : Quentin Florin
Chanson du chien : Stéphanie Aflalo
Costumes, regard extérieur : Julien Andujar
Régisseur général : Christophe Fougou
Renfort costumes : Céline Thirard
Stagiaire à la mise en scène : Hao Yang
Construction décor : atelier du Théâtre du Nord
Administration, production, diffusion, communication AlterMachine / Camille Hakim Hashemi, Erica Marinozzi, Marine Mussillon
Production Cie Inta Loulou
Coproduction : le Phénix (Valenciennes) ; Maisons de la Culture (Amiens - Bourges) ; Théâtre Ouvert ; Le Monfort Théâtre / Théâtre du Rond-Point, Théâtre de Lorient ; Théâtre Garonne, Théâtre du Nord
Soutien : DRAC Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France, la SPEDIDAM