65 Miles de Matt Hartley
Une évocation sans concession d’une famille anglaise
Matt Hartley, né en 1980 au début des années Thatcher, est un jeune auteur anglais. En 2007, sa pièce 65 Miles se voit décerner le prix Bruntwood. La pièce s’inscrit dans la lignée des histoires que Ken Loach ou Mike Leigh aiment évoquer, de Submarino de Thomas Vinterberg. La pièce est marquée par « le réalisme âpre symptomatique d’une société perdue » et les acteurs doivent jouer avec « les non-dits et la pudeur des sentiments » comme le souligne la metteuse en scène Paméla Ravassard.
65 Miles se passe dans une région industrielle anglaise en déclin entre Hull et Sheffield et débute dans un salon modeste. Rien n’a vraiment changé depuis des années dans cette maison où plane l’ombre de la mère et d’un père violent qui a abandonné sa famille. Un jeune homme, Pete, rentre chez lui après un séjour de neuf ans en prison. Pete semble perdu dans cette société qui a évolué pendant son incarcération. Les retrouvailles avec son frère Rich sont difficiles. Comment renouer avec ce frère qui le présentait comme mort lorsqu’il parlait de lui ? Au fil des échanges parfois âpres il leur faudra se redécouvrir.
Pendant son incarcération, Pete s’est fixé l’objectif de retrouver sa fille âgée de quinze ans qu’il ne connaît pas. 65 miles représente la distance qui les sépare. Commence sa quête difficile, hésitante. Benjamin Penamaria incarne avec beaucoup de nuances cet homme qui cherche à se reconstruire et qui espère être reconnu comme père. La rencontre avec Tony, le père adoptif de sa fille, interprété fort justement par Sébastien Desjours, est drôle par l’attitude embarrassée de cet homme qui « se sent coupable rien qu’en taillant les rosiers », et touchante là la fois orsqu’il évoque Jenny et ses caprices d’adolescente de 15 ans. Matt Hartley pose les questions des origines, du secret, du non-dit, de la transmission avec un humour so british. Faut-il s’imposer comme père ? Faut-il s’effacer pour le bonheur de la jeune fille ? En écho avec l’histoire de Pete, son frère Rich, interprété par Garlan Le Martelot très convaincant, doit faire face à une relation amoureuse douloureuse et assumer le refus d’être père et l’avortement de son amie. La question de la filiation est un questionnement fondamental de la pièce.
Les sept comédiens incarnent avec talent ces personnages englués dans des situations dominées par l’incompréhension, l’incommunicabilité, la violence et l’importance du regard de l’autre. La scénographie conçue par Benjamin Porée définit avec habilité les différents espaces de l’histoire ; par exemples les néons qui délimitent la maison de Rich suggèrent une impression d’enfermement, les panneaux réfléchissants soulignent la question du regard. Les choix musicaux soutiennent un rythme rapide et donnent ses couleurs à l’univers de la pièce.
La mise en scène intelligente met en avant les déchirures familiales qui semblent perdurer au fil des générations.
65 Miles de Matt Hartley, traduction de Séverine Magois. Mise en scène de Paméla Ravassard avec Emilie Aubertot, Karina Beuthe Orr, Sébastien Desjours, Stefan Godin, Garlan Le Martelot, Benjamin Penamaria, Emilie Piponnier ; assistant mise en scène et lumières, Cyril Manetta ; scénographie, Benjamin Porée ; costumes, Hanna Sjödin ; musique, AkorplakX ; collaboration, Henri Dalem.
Avignon, Théâtre du Girasol, 24bis Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon à 15h50 jusqu’au 31 juillet 2021. Durée 1h35
© Benjamin Porée, OFGDA et Godeau