Voix de Gérard Watkins
Comment juguler ses voix, qu’on soit entendeur de voix ou comédien.
Nombre de personnes entendent des voix, un mystère réel sur lequel Gérard Watkins se penche. Parlons de voix, non pas de la conscience, des ancêtres, de la famille, de la sagesse. Ni voix de la raison, ni voix de Dieu, ni des valeurs traditionnelles, ni des avis divers, ni conseils ni suggestions.
Pas plus de voix intérieure que de dialogue intérieur familier ; ni les mots que l’être ressent en lui-même, lui parlant, l’avertissant, l’inspirant de près - appel, avertissement, inspiration : « C’est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive » (A. De Musset, Poésies nouvelles, « A la Malibran »)
Voilà des voix bien réelles, distinctes, « du dehors », s’exprimant, chuchotant, criant - expérience d’entendeurs vus comme des schizophrènes auxquels on a imposé traitements chimiques et hospitalisations d’office. Quand ces voix émergent, elles sont une souffrance pour l’entendeur. Dans d’autres sociétés, ces voix ne font pas scandale : signe des dieux, anges, fantômes, diable.
Petite voix, voix brisée, voix cassée, chevrotante, étouffée, éteinte, fêlée, frêle, grêle, sourde, grave, basse, caverneuse, gutturale, métallique, profonde, sépulcrale, chaude, bien timbrée, blanche, cristalline, claire, grasse, enrouée, éraillée, rauque, voix de rogomme, posée, placée.
Sur la scène, un groupe de parole s’installe : on est venu raconter « ses » voix en soi, qui parlent, chuchotent ou hurlent, parfois bienveillantes, troublantes toujours, souvent sources d’angoisse et de frayeur. D’où viennent ces parleuses qui s’introduisent dans nos têtes ? Que murmurent-elles ?
Dans une salle abandonnée, des jeunes gens se réunissent - des entendeurs de voix -, participant à un cercle de parole. La séance devrait les aider à vivre en compagnie de leurs voix, à les réguler, à les contrôler, à comprendre leur provenance indue, leur motivation, leurs invectives, à reporter leur surgissement inopiné pour prendre rendez-vous plus tard. Ne pas se sentir envahi ni soumis.
Une Voix Supérieure - maître, coach, marionnettiste oeuvrant pour l’émancipation - mène la danse. La voix est projetée du haut de la salle - soit Gérard Watkins en personne -, reçue des participants qui l’écoutent et suivent ses conseils et injonctions. La voix d’autorité viendra sur la scène ensuite.
Manon - Marie Razafindrakoto - vit sous l’emprise d’une senior l’entrainant vers un amour mystique improbable : elle en fait un récit pathétique mais distancié et drôle encore. La tonique Eloïse, - Lucie Epicuréo - est tiraillée entre la voix d’un amant distant qui l’accapare, et celle d’une adolescente dépressive et négative : « Le monde est sans espoir ». Elle-même défie le désespoir.
Clément - Malo Martin - entend, depuis le confinement passé, une voix l’obligeant à éprouver sans fin son endurance physique - abdos et exercices musculaires -, et d’autres, facétieuses, amicales.
Véronique, plus âgée, - Valérie Dréville - s’ajoute au trio qui l’écoute pour cette première séance collective initiatrice, puis la nouvelle participante demande le départ des jeunes gens, le temps d’une introspection. De nombreuses voix accompagnent sa vie : Dieu, le garçon des bois ( Malo Martin ), le Morse ( Marie Razafindrakoto ) , et la petite ( Lucie Epicuréo ) : les voix de Véronique se font entendre sur la scène sans qu’on ne les voie jamais puisqu’elles ne sont que des voix.
Or, le théâtre s’impose, et à la surprise de tous, s’abat la cloison de la salle avant le lointain, et apparaît la scène du monde et ses images fantastiques, entre rêve et songe, quand la couleur, la lumière et l’apparat sont invités pour la fête. Le Morse traîne son allure massive aux défenses et moustaches drues ; la Petite est telle une fée à robe rouge dont le visage est effacé, et le Garçon, - un faune mythologique - corps d’homme, sabots en guise de pieds, crinière sauvage, queue de cheval. A vue, également, sur la scène, le pianiste Camille Prenant, aux jolies notes de mélancolie.
A la fois, un hommage inventif et audacieux rendu à ces voix troublantes, riches d’enseignement existentiel dans le débat de soi avec l’autre, et un bel éloge du théâtre qui joue avec toute ombre.
Voix, texte et mise en scène de Gérard Watkins (éditions Esse que). Avec Valérie Dréville, Lucie Epicureo, Malo Martin, Marie Razafindrakoto, Gérard Watkins, et au piano Camille Prenant. Collaboration artistique Lola Roy, lumières Anne Vaglio, Julie Bardin, scénographie François Gauthier-Lafaye, Clément Vriet, son François Vatin, costumes Ann Williams, travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq. Création au théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, les 26 et 27 avril 2023 (coproducteur). Du 5 au 21 mai 2023, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h, Théâtre de La Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manoeuvre 75012 - Paris. Tél : 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr Du 5 au 8 décembre 2023, à La Comédie de Saint-Etienne -CDN.
Crédit photo : Alexandre Pupkins