Pueblo d’Ascanio Celestini
Une fable politique très poétique
Le soir, quand les intérieurs des appartements sont éclairés, passant ou voisin, nous avons tous joué les voyeurs pour essayer d’attraper des indices qui nous renseigneraient sur la vie de ces anonymes entraperçus. Ou bien dans la rue, au café, dans les transports, une démarche, une tenue vestimentaire, aurait pu servir de point de départ pour imaginer tout un roman, construire une vie imaginaire.
Ascanio Celestini fonde son texte sur ce principe : qui sont ces deux femmes, une vieille, une jeune, que le narrateur voit à travers leur fenêtre ? Tout en disant qu’il n’en sait rien, peu à peu, il déroule fil d’un récit au fil duquel surgissent des personnages qui ont tous pour point commun d’être des laissés-pour-compte, des déshérités de la société. Le gitan de 8 ans qui fume, Léonor qui « met la route sous ses souliers » pour aller rejoindre son poste de caissière au supermarché. Et là, elle se sent comme une reine sur son trône, et les clients seraient des sujets auxquels elle distribue les marchandises. Le soir venu, elle retrouve quelqu’un qui l’attend : « c’est son père. Son père mort. » Son père qui savait tout faire mieux que tout le monde, comme lui racontait sa mère. « Tous les soirs, Léonor rentre à la maison, avec son père mort en poche, chez sa mère qui ne parle plus. »
Et puis, il y a les nègres qui vont dans le grand entrepôt derrière le supermarché au bout du parking, la dame des machines à sous qui dit : « la caféine ça déshydrate la peau », Dominique, la clocharde qui vit dans une baraque en préfabriqué et ne fait pas la manche. Elle range les caddies et récupère les produits périmés. Dominique est amoureuse de Saïd, un manutentionnaire chassé du pays parce qu’il a perdu son travail. Il lui fait rencontrer un petit peuple de l’ombre qui lui dit : « On a tous le même nom, madame. Nous sommes les cent mille nègres morts au fond de la mer. »
Dominique appartient au monde des malchanceux hugoliens. Celestini en dresse un destin exemplaire.
Pueblo est le deuxième volet d’un triptyque dont le premier était le formidable Laïka (qui traitait d’un sujet voisin, voir article webtheatre, 12-10-2018), avec le même comédien merveilleux, David Murgia.
Si Celestini est un conteur exceptionnel, David Murgia en est l’interprète d’exception. Il fait vivre tous ces personnages sortis de l’imagination de l’auteur et si réels, qui sont projetés sur l’écran intérieur de notre imaginaire. Un fable poétique et engagé, narrée sur un rythme rapide, comme mu par une urgence, sur le fil de l’émotion, dans une langue vive, très orale, à la gravité légère, aérienne et tout en reliefs, émaillée de tournures inattendues. Un hommage aux déclassés, « une parabole pour raconter l’exploitation, l’aliénation et l’injustice », comme le dit David Murgia.
Pueblo, texte et mise en scène Ascanio Celestini. Traduction et adaptation, Patrick Bebi et David Murgia. Avec David Murgia et Philippe Orivel (claviers et accordéon). Voix off : Diego Murgia. Création musicale : Gianluca Casadei. Paris, théâtre du Rond-point jusqu’au 23 octobre 2022 à 20h30. Durée : 1h30
© Giovanni Cittadini Cesi
Tournée
15 novembre 2022 Maison de la culture de Tournai (Belgique)
6-17 décembre 2022 Théâtre des Célestins (Lyon)
21 avril 2023, Théâtre Sorano (Toulouse)