Points de non-retour/Quais de Seine/
A la recherche de la parole manquante
Deuxième volet d’une trilogie intitulé Points de non-retour, Quais de Seine interroge l’empreinte laissée par l’histoire politique sur les individus, comment l’intimité des gens est façonnée par la grande Histoire, ici la colonisation et ses conséquences sur plusieurs générations. La pièce articule deux histoires qui se déroulent simultanément dans deux espaces. A l’avant-scène, on assiste aux séances de psychanalyse de Nora, dans un hôpital représenté par un lit médical, grâce auxquelles elle reconstitue des fragments de son histoire et accèdent aux non-dits familiaux. En arrière-plan, dans un espace fermé métaphorique, l’histoire d’Irène et de Younès que Nora rêve, découvre. Ils se sont rencontrés à Setif qu’ils ont fui pour Paris car là-bas l’union entre une française et un Algérien était réprouvée par la famille d’Irène. Mais la guerre, « les événements », comme on disait "pudiquement" à l’époque, les rattrapent. Les faits, les terribles exactions à l’encontre des Algériens perpétrés à Paris sont restés longtemps méconnus. Depuis quelques jours, le couvre-feu s’appliquait aux seuls travailleurs algériens. Un soir, à l’initiative du FLN, ils ont voulu boycotter le couvre-feu et manifester dans les rues de Paris pour l’indépendance de l’Algérie. La répression policière, avec à sa tête Maurice Papon, était terrible. La nuit du 17 octobre 1961, pour échapper aux violences policières, des hommes se jettent dans la Seine du haut du pont Saint-Michel, scène qui fait l’objet d’un rêve obscur de Nora. On comprend qu’Irène et Younès sont ses grands-parents et que son père naît en 1962, l’année de la sanglante répression au métro Charonne qui fit 9 morts. Quel avenir pour ce couple déchiré ? Irène se lamente : « je serai toujours la fille de tes ennemis » ; ils sont séparés par l’histoire et ce, bien-au-delà de la fin de la guerre. Ils ne peuvent plus « vivre, ni ici ni là-bas ». Un exil forcé qui n’offre même pas de paix intérieure.
Evidemment, le sujet est passionnant, non seulement la question de l’Algérie mais au-delà les séquelles intérieures qui marquent forcément les générations futures, parfois de la pire manière, quand le silence a étouffé l’histoire. Mais le traitement qu’en fait Alexandra Badea manque d’ampleur et de force. Si le sujet intéresse, les personnages laissent indifférents, tout est très attendu et sans grand relief. On est loin des enquêtes façon Wajdi Mouawad qui, dans la même pâte, pétrit des questions semblables, l’oubli, les dégâts des guerres sur les hommes, la nécessité de la vérité, de la transmission, etc. Ce spectacle n’est pas vraiment à la hauteur de ses enjeux.
Points de non-retour /Quais de Seine/ texte et mise en scène Alexandra Badea ; dramaturgie Charlotte Farcet ; scénographie, costumes, Velica Panduru ; lumières, Sébastien Lemarchand ; création sonore, Rémi Billardon. Avec Amine Adjina, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Sophie Verbeeck et Alexandra Badea. Voix, Corentin Koskas et Patrick Azan. Avignon, salle Benoît XII, jusqu’au 12 juillet 2019 à 22h ; Durée : 1h50.
Du 7 novembre au 1er décembre à Paris, au théâtre de la Colline.
Texte publié aux éditions de L’Arche.
© Christophe Raynaud De Lage