Othello de Shakespeare par Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud et Adama Diop.

La difficulté de s’imposer sur un territoire et son monde pour l’Etranger.

Othello de Shakespeare par Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud et Adama Diop.

Pour le metteur en scène Jean-François Sivadier, la noirceur du coeur de Iago, le fourbe compagnon d’armes d’Othello, l’enseigne modeste de celui qui est devenu général en chef de la République vénitienne en guerre contre les Turcs, a décidé du choix de cette tragédie, d’autant que le rôle maléfique et emblématique du Mal est porté par le grand acteur Nicolas Bouchaud. Iago serait un marionnettiste implacable, un manipulateur, un initiateur aux bassesses du monde.

Ainsi parle Iago, l’ange noir d’Othello, figurine trop confiante et objet dans les mains du Diable :« Nos corps sont des jardins dont nos volontés sont les jardiniers si nous voulons y planter des orties ou y semer de la laitue… Si la balance de nos vies n’avait pas un plateau de raison pour équilibrer l’autre, celui de la sensualité, le sang et bassesse de notre nature nous conduiraient aux pires conséquences. Mais nous avons la raison pour refroidir nos furieux désirs, nos picotements charnels, notre luxure sans frein… » (Acte I, scène 3, Othello, traduction Jean-Michel Déprats)

La relation d’Othello et de Iago, à la fois ennemis et complices, est composée d’amitié et de haine, d’attirance et de répulsion, pour une histoire domestique et intime, de couple et de jalousie, un récit fantasmé qui, au lieu, de conduire le héros vers la gloire et la lumière, le mène aux Enfers. La parole de Iago infuse patiemment chez le héros malheureux Othello son poison lent et irréversible.

Le personnage de Desdémone - sincère et juste Emilie Lehuraux - est plus libre et nuancé, ouvert et moderne, sachant qui elle est, les valeurs défendues, dont l’amitié pour Cassio - Stephen Butel, entier et magnétique - , le prétendu amant possible et inventé de l’épouse bafouée d’Othello.

Avec l’attrait et l’attirance que suscite celui qui fait le Mal, le Serial Killer de tous les temps, le Joker d’aujourd’hui - face à la bouche effilée de sang -, la pièce de Shakespeare, selon Jean-François Sivadier, traite de l’emprise - amoureuse, politique, patriarcale -, un thème en cours et brûlant, s’il en est, et dont Othello est l’objet malheureux dans les mains de Iago, Desdémone dans celles d’Othello - avec féminicide de la fille du sénateur -, et le Maure dans celles de la République de Venise.

Jalousie, déni, puis doute et certitude, Othello est bien trop sensible aux médisances qui le fragilisent lui, l’étranger, celui qui a su séduire une Vénitienne inaccessible dont il va se méfier. Le comique mi-figue mi-raisin vient de ce que Othello n’ait confiance qu’en Iago qui seul lui ment.

La fin du spectacle saisit davantage l’attention : Othello - excellent Adama Diop qui passe de la raison tranquille de la sagesse à la folie exacerbée - est masqué de blanc, habité par ses ombres et ses doutes, se préparant difficilement à tuer celle qu’il aime et qui le défend avec constance toujours, devant la prudente Emilia - persuasive Jisca Kalvanda -, l’épouse de Iago, qui prévient sa maîtresse des maléfices de manipulation machiavélique qu’exerce son maudit mari a-moral.

Le spectacle à teneur tragique se perd en s’abandonnant systématiquement à cet esprit loufoque et potache, joyeux et facétieux - ironie, dérision manifeste, sarcasmes consensuels, clins d’oeil au public et pieds de nez en pagaïe - qui fait la marque Sivadier, installateur de spectacles dont les excellents acteurs, généreux sur la scène, livrent en les extériorisant fort le souffle et la conviction dont ils sont capables - Nicolas Bouchaud en majesté, entouré de Cyril Bothorel et Gulliver Hecq.

Othello de William Shakespeare, texte français Jean-Michel Déprats, mise en scène Jean-François Sivadier, Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit, scénographie Jean-François Sivadier, Christian Tirole, Virginie Gervaise, lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudoin, costumes Virginie Gervaise, son Eve-Anne Joalland. Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux. Du 18 mars au 22 avril 2023, du mardi au samedi 20h, dimanche 15h, L’Odéon-Théâtre de l’Europe 75006 - Paris. www.theatre-odeon.fr 01 44 85 40 40. Du 26 au 28 avril, MC2 : Grenoble. Du 4 au 6 mai, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon. Du 10 au 13 mai, ThéâtredelaCité, CDN Toulouse-Occitanie. Les 24 et 25 mai, L’Azimut Antony - Châtenay-Malabry.

Crédit photo :Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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