Orphelins de Dennis Kelly
De la banalité du mal
Souvent mise en scène (on peut en voir deux versions à Avignon cette année), Orphelins de Dennis Kelly est une pièce coup de poing écrite avec la tension des meilleurs roman noir. Kelly y interroge la violence ordinaire dans toute sa complexité à travers une question délicate : jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour défendre notre famille ?
Un jeune couple tranquille se concocte un dîner d’amoureux quand débarque bruyamment un jeune homme couvert de sang. De mensonges en interrogations, peu à peu le puzzle se reconstitue ; de témoin d’un drame, le jeune homme, visiblement déséquilibré et déjà doté d’un casier judiciaire, se révèle coupable d’agression raciste et de torture sur un inconnu. Liam est le frère d’Helen, il sait qu’il trouvera protection auprès de cette soeur avec qui il partage une enfance fracassée qui pourrait expliquer ses dérèglements. D’abord choqué, Danny, le mari s’indigne du manque de responsabilité civique de sa femme mais finira par se livrer à des actes qu’il n’aurait jamais pu imaginer, embarqué dans une spirale d’émotions incontrôlables qui donne la mesure de nos fragilités et des dérives qui nous menacent.
Comme sur un ring de la douleur, les comédiens jouent au centre des spectateurs parfois interpellés du regard avec insistance. Tout tourne autour d’une petite table en Formica dans un dispositif faussement réaliste déjoué par les indications de jeu. Les choix de mise en scène sont risqués mais au final traduisent bien le trouble, le désordre intérieur que génère la situation dans l’esprit de chacun. Ceci est particulièrement sensible dans l’interprétation heurtée que donne Céline Ohrel de son personnages ; les mots d’Helen se bousculent, arrivent brusquement en avalanche, agglutinés ou restent coincés dans la bouche. Le trio se déchire car la situation est sans issue acceptable. Kelly distille les informations au compte-gouttes et la mise en scène accentue le suspend du rythme avec l’énonciation des didascalies et l’étirement des temps des pauses. Les partis pris de mise en scène de Sophie Lebrun et Martin Legros décalent un peu le principe de ce huis-clos étouffant, plombé par trop de non-dits. Cependant ils traduisent avec justesse comment les désarrois de l’âme engendrent des faits de violence, réels et intérieurs.
Orphelins de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine et Patrick Lerch. Mise en scène Sophie Lebrun, Martin Legros. Avec Julien Girard, Sophie Lebrun, Martin Legros, Céline Ohrel. Avignon, Gilgamesh à 20h35. Durée : 1h15.
Texte publié aux Editions de L’Arche
Photo Virginie Meigné
Tournée Saison 2019/2020 :
3 octobre 2019 - Saison Culturelle, L’Aigle (61)
5-8 novembre 2019 - Le quai des rêves, Lamballe (22)
6-8 janvier 2020 - L’Arsenal, Val-de-Reuil (27)
10 janvier 2020 - Centre Culturel, Ploërmel (56)
16-17 janvier 2020 - Théâtre Paul Eluard, Choisy le Roi (94)
23 janvier 2020 - Aunay-sur-Odon (14)
25 janvier 2020 - Evrecy (14)
6 février 2020 - Centre Culturel Jovence, Louvigné du Désert (35) 7 mars ou 4 avril 2020 - Pôle Culturel, Conches en Ouche (27)
20 mars 2020 - Maison du Théâtre, Brest (29)
27 mars 2020 - Le Rayon Vert, St Valéry-en-Caux (76)